Révélé par l’excellent Festival des 3 continents de Nantes, Darejan Omirbaev fait partie des quelques irréductibles cinéastes kazakhs qui continuent à faire des films bien que ceux-ci ne soient pas diffusés dans leur propre pays. Avec Kardiogramma et plus récemment, Tueur à gages, Omirbaev s’est imposé comme l’un des héritiers les plus passionnants de Robert Bresson, auquel le cinéaste voue un véritable culte. Conçu dans un style acéré et sec, La Route témoigne une nouvelle fois de cette fascination pour l’auteur de L’Argent. On y suit le parcours initiatique d’Amir, un réalisateur qui prend la route en voiture pour se rendre à son village natal (en réalité celui d’Omirbaev) et visiter sa mère gravement malade. Ce voyage sera l’occasion pour lui de faire un point sur son existence avec au terme du périple le gain d’une maturité qui a valeur de révélation. Dédié à tous les cinéaste kazaks, La Route est sans doute le film le plus personnel d’Omirbaev qui y laisse transparaître ses angoisses et ses doutes aussi bien sur son métier que sur sa vie personnelle.
Le film suit ainsi les méandres de l’esprit d’Amir dont on partage les fantasmes sexuels, les rêveries bucoliques et les interrogations professionnelles. La Route n’est donc pas un récit linéaire et s’autorise au contraire quelques belles déviations suivant l’humeur de son héros. Organisées selon un principe d’apparition extrêmement simple, ces digressions finissent par perturber notre rapport à la réalité et réussissent presque à nous faire entrer dans la conscience d’Amir. On retrouve aussi dans ce nouvel opus d’Omirbaev son sens du détail ultra-bressonnien, cette focalisation sur des petits riens qui en disent pourtant long, comme cette bataille de doigts sur le bouton d’une portière de voiture entre Amir et une conquête récalcitrante. Surtout, le cinéaste confère un rythme presque hypnotique au film grâce à ces moments de latence où l’action semble s’évader vers des territoires inconnus, moments de poésie dans lesquels la caméra s’attarde aussi bien sur des paysages en friche que sur un ciel étoilé. Il y a chez Omirbaev une réelle facilité pour transcender le monde filmé et l’amener à l’échelle de ses héros dans un élan de pure subjectivité.