Crazy / Beautiful est un peu la rencontre entre China girl d’Abel Ferrara et le tout-venant de la production teenage hollywoodienne. Du premier, on retrouve l’admirable faculté à hisser une rencontre très simple, fondée sur une antithèse culturelle (une petite bourgeoise rebelle + un jeune latino des bas-quartiers au comportement modèle), bien au-delà des rituelles love-stories à la sauce « american college ». Du second, il reprend tous les tics écumés depuis l’invention du teenage movie (B.O. juke-box, stylisation un peu glaçante) dans une sorte d’exténuation euphorique.
Ce qui frappe ici, c’est l’infinie délicatesse avec laquelle Stockwell joue de cet aspect tout fait pour rendre une sorte de film hybride, partagé entre la pauvreté de son dispositif (esthétique de masse, complaisance attendrie pour une culture dite basse) et la grandeur de ce qu’il met à nu : du sentiment et seulement du sentiment. Crazy / Beautiful ressemble à une sitcom évidée, une enveloppe clean dissimulant un gouffre sans fond. Le lycée est un espace poreux, lieu de passage ou de révélation, jamais il n’est traité comme objet en soi à parcourir de fond en combles. Ne reste des scènes-types de ce genre de lieu commun (les cours, la cafétéria, les parties) qu’une sorte de peinture en mouvement : danses frénétiques, chansons murmurées, entrées, sorties, images diaphanes de fêtes pailletées enfuies sitôt que montrées.
Stockwell s’attache aux moments volés, se fixe sur ce qui traditionnellement n’est qu’effleurement ou transition. Portant à incandescence les rouages du film post-adolescent, Crazy / Beautiful provoque une crise formelle (des actions manquées, frustrées, noyées dans un flot de mouvements ininterrompus) qui, à force d’exténuation et de saturation, ne laisse à voir que cela : un long moment de suspension amoureuse ouvert sur le vide. L’impossibilité rendue possible d’une rencontre, beau sujet de ce film faussement immature (on y voit littéralement mûrir et s’épanouir les clichés les plus éculés du roman-photo type Jeune et jolie), ouvre sur un étrange croisement : sous-genre racoleur et mélodrame feutré. Ou encore : le passage impromptu de la vulgarité la plus opportuniste à la grâce nue d’un geste adolescent.