Le principe de Mafia blues n’a rien de révolutionnaire. Il relève au contraire d’une grande tradition hollywoodienne, celle des comédies basées sur l’arrivée d’un élément incongru dans un milieu qui, jusqu’alors, s’était toujours passé de lui. De M. Smith au sénat à Fisher King, cette vieille ruse de scénariste aura balisé l’histoire du cinéma de toutes sortes de films, allant du meilleur jusqu’au pire. Or c’est bien du pire qu’il s’agit aujourd’hui. L’idée de base d’Harold Ramis (gentil cinéaste à qui l’on doit le très catholique mais sympathique Un Jour sans fin) n’était pas en soi dépourvue d’intérêt : un dangereux mafioso qui déprime au sommet de sa gloire et se rue sur un divan, voilà qui eut pu faire rire. Mais c’était compter sans cette volonté systématique de vulgarisation chère à Hollywood, qui n’a pu s’empêcher de développer d’une traite un double écheveau de clichés et d’idées absurdes sur le milieu mafieux comme sur la psychanalyse. Comme il se doit, donc, le gangster Paul Vitti (Robert De Niro) est un gros dur qui dit « fuck » en jouant avec son flingue, et le psy (Billy Cristal) un trouillard frustré qui baille aux corneilles en écoutant ses patients. La rencontre des deux donne quelque chose comme le plus mauvais des films de Scorsese couplé avec les plus lamentables blagues de Woody Allen. Difficile, du coup, de ne pas être consterné à l’écoute de certaines répliques de De Niro, qui entre deux « fucking Freud ! » s’insurge contre l’interprétation œdipienne que hasarde Billy Cristal sur sa vie, en ces termes ô combien subtils et originaux : « What ! You think I want to fuck my mother !? ». Tout cela, bien sûr, prononcé par « M. De Niro Machine » avec cette insupportable « moue mafieuse » digne d’une grimace de Courtemanche, et qui va s’allongeant à mesure que son talent rétrécit (à ce rythme, on aura bientôt rayé le fabuleux interprète de Taxi driver de nos mémoires).
Plus qu’un film raté, Mafia blues est un film frustrant, car il ne répond pas au plaisir qu’aurait pris le spectateur à voir un caïd déverser son stock de névroses chez un psy. Tout le film n’est qu’une gigantesque esquive, car cette thérapie hors-du-commun, en fin de compte, ne commence jamais : à peine le scénario a-t-il frôlé quelque chose d’intéressant (c’est-à-dire d’un peu complexe) que déjà il prend peur et se dérobe aussitôt, pour retourner vers une rassurante superficialité (en d’autres termes, les séances chez le psy ne durent pas plus de trente secondes). Tout le monde le sait, la psychanalyse effraie les Américains. Il est donc bien normal que ces derniers cherchent à la tourner en ridicule. Mais leur incapacité notoire à s’y confronter avec un minimum de sérieux (qu’il s’agisse ou non de comédie) trahirait presque un besoin urgent, viscéral d’aller consulter. Il serait peut-être bon que l’on enfonce Hollywood dans un divan : au point où nous en sommes, il ne pourrait en sortir que du bon.