Laurence Coriat, la scénariste de Wonderland, avoue avoir puisé son inspiration initiale dans le Short cuts de Robert Altman. Ce n’est pas un mauvais choix, même s’il annonce d’emblée une préférence pour la construction du récit, sa structure, la forme -pour faire court- au détriment d’un fond un peu aléatoire. Après avoir bâti la grille, il faut faire entrer les mots, les faire se croiser. C’est un travail sur les « z » hasards et les coïncidences comme dirait Lelouch, un calcul pour prévoir les rencontres fortuites, pour préparer les coups de théâtre inattendus qui « relanceront » la destinée de nos personnages. Il y a dans cette démarche d’écriture une dimension théorique artificielle qui finit par lasser ; d’autant que ce cruciverbisme fictionnel est un peu en contradiction avec le sujet de Wonderland : au cours d’un week-end, la saisie à vif de plusieurs membres d’une famille londonienne. Il y a presque un décalage entre un projet de type cassavetien et un traitement théorique à la Resnais. De cet hybride incongru ressort, d’une part le côté vain de la construction éclatée, et de l’autre le sentiment d’un flot d’images peu maîtrisé -le tout accompagné d’une batterie d’effets sonores et visuels qui achève de déconsidérer la sincérité du projet.
Si Wonderland retient l’attention, c’est par la qualité d’interprétation de l’ensemble des acteurs et actrices. On retrouve ce jeu « à l’anglaise » qui sait si parfaitement se fondre dans la réalité sociale décrite par le film ; mais, encore une fois, la fonction de chaque personnage dans l’histoire s’offre avec trop d’évidence pour ne pas casser les effets d’une interprétation toujours convaincante. Ainsi, le duo de sœurs, très « altmaniennes », Nadia et Molly -Gina Mckee-Molly Parker- fonctionne avec justesse sur un principe de complémentarité contraire à partir duquel le bonheur de jeune mère de l’une -Molly- renforce la solitude sentimentale de l’autre. Et inversement. De même, la joie de vivre de Debbie, shampouineuse excentrique interprétée par Shirley Henderson figure une alternative possible et souhaitable au tempérament des deux sœurs. Cette symétrie ou ce principe de vases communiquants entre les personnages tourne vite au systématisme. Comme si le scénario faisait froidement le marché aux émotions pour faire vivre l’ensemble. La simultanéité des états d’âme des uns et des autres, montrée par un montage parallèle omniprésent, devient un procédé qui casse l’émotion : le retour en bus de Nadia venant de coucher avec un homme rencontré par petites annonces et qui comprend son immense solitude au milieu d’usagers fatigués ou poursuivant le jeu social : la tension très violente entre un jeune noir et sa mère qui vient le questionner alors qu’il prend un bain en écoutant un morceau de trip-hop.
Il y a surtout dans Wonderland le portrait d’une ville européenne en mouvement, Londres, filmée de près et qui est comme la métaphore du chaos et des turbulences qui agitent chacun des personnages du film. Winterbottom et l’équipe technique légère qui l’a accompagné se sont rendus sur les lieux réels où se joue l’action. Ce n’est pas un aspect négligeable du film qui sait capter l’ambiance agitée des bars de Soho comme le rythme des travailleurs urbains du centre-ville. Proche du Short cuts d’Altman, sombre portrait de l’Amérique des années 1990, ce kaléidoscope londonien fonctionne comme un portrait en miniature de la société britannique actuelle. Moins roublard que Trainspotting. Mais plus pesant que l’inoubliable Preak-up your ears.