Sur ce troisième album de la trop méconnue Shannon Wright, la chanteuse américaine à grande bouche se fait accompagner par The Rachel’s (cordes lancinantes), The Edith Frost Band (Edith Frost est aussi un talent féminin US à découvrir absolument), Calexico, Shipping News, Boxhead Ensemble… Que du beau monde, mais dont la participation ne dénature jamais la singularité du style de Shannon Wright, cette espèce de post-folk barbelé, ce punk acoustique violenté et tendu à se briser.
Ici, grosses batteries, guitares sèches (« sec » n’a jamais aussi bien convenu à un jeu de guitare), inserts électriques aigus, cordes frémissantes, soutiennent le chant douloureux de Shannon Wright, qui glisse vers des noirceurs psychopathiques avec une grâce confondante. Shannon Wright semble chanter depuis un monde perdu, poussant sa plainte avec autant de hargne que de douceur. Le disque oscille ainsi entre violence rentrée, tension douce-amère, et explosions rythmiques, hululements rauques.
De Less than a moment, exercice de style à la Slint, introduisant un album intense de bout en bout, à Method of sleeping, qui ressemble à une chanson douce de Björk, avec l’inquiétante étrangeté et le sample dissonant en plus, Dyed in the wool est une succession de montagnes russes, une alternance inédite de chaud et froid, de beau et de laid, de tendresse et de brutalité. L’usage récurrent du piano ajoute une touche gothique-romantique qui noircit le trait et rend palpable l’émotion, lyrique le sentiment.
Violent même dans les creux, ce troisième album mixé par Steve Albini, est magistralement interprété, des rythmiques lourdes mais complexes aux arpèges soutenus, la musique pousse vers le haut le chant désespérément incarné de Shannon. Un disque intransigeant, une chanteuse habitée, une expérience esthétique à revivre sans faute sur scène, à l’occasion de sa venue en France.