Amour d’enfance débute par un long et beau générique : l’image d’un jeune homme (Mathieu Amalric) endormi dans le compartiment d’un train régional au bruit assourdissant, entrecoupée des cartons titres et de douces notes de piano. Mine de rien, cette ouverture contient un parti pris important du film : la fidélité au registre naturaliste -un travail de la réalité par la composition et la durée des plans- alliée à un certain « mélancolisme », une douceur sentimentale aux accents schubertiens. Cela aurait pu facilement devenir une pose agaçante, de la nostalgie facile comme le suggérait ce titre d’une mièvrerie courageusement assumée. Mais le premier long métrage d’Yves Caumon (déjà remarqué par un moyen, La Beauté du monde) échappe avec élégance, et même brio, aux nombreux pièges tendus par son sujet.
Paul, 28 ans, éternel étudiant, revient dans la ferme familiale du Sud-Ouest pour voir son père, qui se meurt d’un cancer, et consoler sa mère. En cherchant à revoir Brigitte (l’ »amour d’enfance » en question), il ne trouve que sa petite soeur, Odile. Celle-ci est devenue une jeune femme, maquée avec Thierry, l’ancien meilleur ami de Paul, féru de chasse, de sortie en boîte et de son 4×4. Peu à peu, alors qu’il cherche un repreneur pour la ferme de son père, dont personne ne veut, il se met à regretter ce pays qu’il a quitté pour une vie soi-disant meilleure. Mais ce retour, et son flirt avec Odile dont il a toujours été le « prince charmant », perturbe les autres autant que lui-même.
Yves Caumon évite le discours attendu et galvaudé sur le retour au sources et l’importance des racines, et refuse l’enjolivement nostalgique -aucun souvenir d’enfance n’est d’ailleurs évoqué dans le film. Paul découvre un pays différent, fait l’expérience du temps et des cycles de la vie (la mort de son père, une petite fille devenue une femme qui le séduit), découvre l’âpreté du changement. Il reste à la marge, impuissant, incapable d’avoir prise sur les êtres qu’il rencontre, si différents de ceux qu’il a connus. Certes, Amour d’enfance met du temps à trouver son rythme, tâtonne maladroitement (comme Paul, souvent comique et décalé) à la recherche d’un sentiment ténu, un mélange trouble de désir et de regret, et ne provoque pas toujours l’empathie souhaitée pour le héros. La volupté mélancolique de Paul prend une nouvelle dimension quand elle se heurte à la vraie souffrance, celle qui accompagne la mort du père, puis la déception de Thierry, ami déçu et trahi (admirable prestation de Fabrice Cals, aussi pathétique qu’inquiétant dans l’une des plus belles scènes du film). Alors, la mise en scène de Caumon, rigoureuse dans sa manière d’aplanir et d’adoucir le jeu des acteurs, de capter l’irrémédiable « retard » de Paul sur les autres, donne sa pleine mesure.
Lorsque la subjectivité du personnage passe au second plan, le film semble comme lui gagner en maturité sous nos yeux, se dégager d’un dolorisme réducteur pour atteindre une sagesse nouvelle, riche de la souffrance des autres. L’émotion culmine dans le dernier plan : un lent travelling montrant l’effacement salvateur du héros qui laisse le point de vue vacant, offrant à ce beau film une magnifique conclusion.