La Libertad c’est 24 heures dans la vie de Misael, bûcheron dans la pampa argentine. De longs plans-séquence, de larges panoramiques enregistrent ses gestes les plus quotidiens et routiniers : abattre les arbres, les dépouiller de leur écorce, faire sa toilette, dépecer méticuleusement un tatou, manger, déféquer en pleine nature, acheter de maigres provisions… Actions fréquemment filmées en temps réel et tout cela dans un silence -excepté les bruits de la nature- le plus total.
Le minimalisme du dispositif, l’intransigeance de la mise en scène (il se passe plus de vingt minutes avant que Misael ne prononce sa première et rare parole du film) auront de quoi en rebuter plus d’un. Pourtant La Libertad est l’un de ces précieux objets inclassables, l’un de ses films que l’on qualifie communément d’Ovni. Une œuvre qui au-delà du documentaire, au-delà de la fiction, nous dévoile un monde à part dans lequel routine et primitivisme entrent en osmose. On a l’impression qu’il s’agit d’un univers où la civilisation -pourtant géographiquement très proche de la forêt de Misael- semble se trouver à des millions d’années lumières. L’unique habitant de cette étrange planète, malgré son omniprésence à l’écran, nous demeurera à jamais opaque. Quasi-mutique, quasi-ermite, il n’est pas loin d’une certaine façon de l’animal. Pour s’en assurer, il suffit de contempler la troublante et très belle séquence par laquelle le film débute et se termine : le bûcheron éclairé par la chaude lumière d’un feu dévore des morceaux de viande de tatou. Torse nu, le regard étrangement vide ; on est plus près de La Guerre du feu que des débuts du vingt-et-unième siècle. Un film aride dont la fascinante radicalité est en tous points admirable.