Deuxième sortie pour Deco, le label français des activistes de Büro (Lionel Fernandez et Erik Minkinnen) après leur propre album sous le nom de Discom. Il s’agit cette fois du premier long format du parisien Port Radium, que l’on a récemment pu voir ouvrir pour Fennesz au Purple Institute, avec un set étonnant de nappes tonales ou bruitistes fracturées, de bruit blanc et de rythmes effrénés. Serait-on en train d’assister à la naissance d’un « son » typiquement français dans le domaine très réservé de la de l’après-laptop electronica ? Il est en tout cas agréable de voir des artistes français s’affranchir un peu de l’esthétique autrichienne de Mego.
Le disque s’ouvre sur une étrange revendication : une voix féminine assaillie de bugs informatiques entonne un réjouissant mais à peine compréhensible « Port Radium, no techno », comme un déni du tout technologique qui investit pourtant l’intégralité des composantes techniques et esthétiques de la musique. Comme un pied de nez amusé à la prétendue « aliénation » qui planerait encore au-dessus des adeptes du tout-informatique, dans leur rapport à l’extérieur (communication) comme à l’intérieur (ici, la création artistique). Port Radium fait de l’aliénation de la voix le propos de sa musique. Cette voix qui entonne le « no techno » hypnotique nous chante une douce mélodie du fin fond des entrailles du powerbook.
Car à sa façon, Autopuzzle est mélodique. Entre les assauts soniques, les pluies de neutrons et de glitches et les vagues statiques de bruit, de doux et lointains relents de musicalité ont su préserver leur intégrité. Bien entendu, la corporéité de ces dernières est sans cesse remise en question, sans cesse installée en situation d’extrême danger : les corps sont en permanence fragmentés puis redistribués, éventrés par les samples en bout de course et les tressaillements informatiques, de la saturation numérique et des craquements intempestifs. Quand un échantillon est réduit à un fragment tellement court qu’on le reconnaît plus, il perd son essence d’échantillon, jusqu’à ne devenir qu’un maillon aléatoire de 0 et de 1. Port Radium l’a bien compris, il en joue et en jouit. Mais contrairement à beaucoup d’artisans expérimentaux, il met en boucle, pitche et filtre jusqu’à obtenir cette musicalité diffuse et à peine palpable qui rend sa musique plus accessible. Souvent, les perturbations se retrouvent noyées dans un océan de reverb’, et les sons semblent se poser et s’organiser. Alternant sonorités brutes et séquences ludiques, Autopuzzle atteint ainsi un difficile équilibre, parfait dosage d’innovations et de jouissance immédiate.