Suspicious river part d’un étrange désir de cinéma, d’un intérêt forcené pour les histoires uniformément glauques, pétries de malheurs, de névroses sexuelles, habitées par des héros accros aux ambiances malsaines. Mais de la part de l’auteur de Kissed, récit nécrophile d’une bêtise rare, ces choix n’étonnent guère. Fervente adepte de la dépression arty, Lynne Stopkewich en remet une couche dans son second long métrage, heureusement délesté des redoutables effets de style du précédent. Si la portée de l’entreprise n’en demeure pas moins faible, Suspicious river a pour lui sa limpidité formelle, son espèce de calme désespéré au coeur même des événements les plus scabreux. Et puis, surtout, le film abrite un vrai personnage de femme : Leila (Molly Parker, bien mieux que dans Le Centre du monde), réceptionniste d’un motel pourri, jeune fille tendance country arrondissant ses fins de mois grâce aux pipes dispensées à la plupart des clients de passage. Jusqu’au jour où la demoiselle tombe amoureuse de Gary (Callum Keith Rennie), fou furieux qui la maltraite et finit par lui imposer un gang bang vicelard.
Suspicious river, c’est un peu Twin peaks (la forêt, le sexe triste ou violent, l’héroïne mi-ange / mi-putain) version light et réaliste, sans relief et sans grande ambition, hormis celle de prodiguer à son spectateur des situations toujours plus sinistres, confrontant la fébrilité psychique de sa protagoniste aux châtiments d’un environnement infernal. Traumas mystérieux du passé et terreurs grandissantes du présent (un frère malade -et incestueux ?-, un amant menaçant) harcèlent sans cesse l’esprit tourmenté de Leila, pauvre fille de la campagne à jamais coincée dans ce bled paumé qu’est Suspicious River. Son quotidien en forme de cauchemar est filmé avec une distance malaisante, comme dilué dans une atmosphère doucereuse et automnale, une mise en scène dénuée de tout excès malgré l’horreur qui la sous-tend. De ses molles velléités hypnotiques, Lynne Stopkewich tire au final un petit objet tordu et assez vain, parfois intrigant à force de ténacité putride (la vase, la rivière stagnante, l’absence de lumière) et de langueur morbide. C’est déjà pas si mal…