Excepté le fait de mettre en œuvre le même type de créatures, Peur bleue n’a rien en commun avec Les Dents de la mer (1975). Le requin -mal omniprésent et quasiment toujours invisible chez Spielberg- se voit ici démultiplié et surtout arboré à chaque plan comme le symbole d’une réussite technique inégalée (« animatronique », images de synthèse, Peur bleue est une véritable plaquette de présentation des effets spéciaux dernier cri). Version boursouflée et exhibitionniste d’un thème déjà abordé par le cinéma, en bien mieux, Peur bleue exploite donc allègrement les conventions du film d’action à suspense. Un lieu isolé de tout (ici une base marine ultra-sophistiquée, mais ceci aurait pu tout aussi bien être une île déserte ou un vaisseau spatial), un groupe échantillon représentatif du parfait manuel de survie (un cuistot noir plein d’humour -ça sert toujours-, un intello, deux nanas, scientifiques de surcroît, et bien sûr un gros bras, dompteur de requins à ses heures) et surtout un élément perturbateur : de gros requins, particulièrement intelligents et très très méchants. Une manipulation génétique, effectuée certes pour la bonne cause -la guérison de dégénérescences cérébrales de type Alzheimer-, a en effet rendu les bébêtes singulièrement agressives.
Cette structure immuable possède une seule variable : l’ordre des victimes. C’est alors que le film révèle sa petite originalité, les personnes avalées, dûment dépecées, ne sont jamais celles que l’on croit. A commencer par la première qui logiquement aurait dû être la dernière puisque seule tête d’affiche du petit groupe de victimes en puissance. Alors que Samuel L. Jackson se fend d’un discours grandiloquent sur l’union fait la force, nous ne nous en sortirons qu’ensemble, blabla (la mise en scène est au diapason, mouvements de caméra « lyriques », gros plan sur l’orateur), il se fait happer et croquer tout cru par un requin. A cette hiérarchie gentiment bousculée s’ajoute le jusqu’au-boutisme de certaines scènes qui les apparente à des perles de nanar de série Z. Renny Harlin n’a peur de rien (remarquez, le spectateur n’est pas non plus réellement effrayé), alors que l’héroïne s’apprête à électrocuter l’une des bêtes, elle ne trouve rien de mieux que d’utiliser sa combinaison en tant qu’isolant. Résultat, elle se retrouve en dessous plus qu’affriolants (voir également la scène où le cuistot est coincé dans les mâchoires du requin et qu’il utilise son pendentif en forme de croix pour crever l’œil du monstre). Un art de court-circuiter les attentes du spectateur, un certain humour placent Peur bleue tout juste au-dessus du niveau du banal film d’action. Suffisant pour provoquer chez le spectateur quelques surprises.