On ne peut pas dire que Désirs humides passionne de bout en bout ou fasse preuve d’une imagination sans cesse renouvelée. De nombreuses scènes de strip-tease tendent à se répéter sans que la mise en scène parvienne chaque fois à renouveler leur intérêt, tandis que l’ensemble manque cruellement de ces temps forts cinématographiques qui imposent un film avec évidence. En revanche, sa propension à accompagner, voire anticiper les évolutions sociales de son pays d’origine ne manque pas de surprendre et de rapprocher cette œuvre des préoccupations de la nouvelle vague japonaise emmenée par Nagisa Oshima.
Son élan érotique, ivre de liberté, percute un peu au hasard tous les standards d’une société japonaise engoncée jusqu’à l’étouffement dans un carcan de règles aussi strictes que castratrices, et ouvre un boulevard aux pulsions individuelles (presque égoïstes) les plus échevelées et les moins conventionnelles. La rupture avec la tradition intervient dès les premières scènes. Un mendiant porté sur la bouteille trouve un portefeuille, prend l’argent qu’il contient, et décide de changer de vie en devenant un « dragueur », un personnage qui profite des femmes qu’il séduit. Au panthéon des valeurs sacrées, le plaisir et la facilité remplacent le sacrifice et l’abnégation, l’individualisme forcené s’impose au détriment de l’harmonie collective. L’irresponsabilité triomphe. Dans son sillage, l’homme entraînera deux femmes qui font le choix d’une émancipation par le sexe. Le récit lui-même quitte le lit douillet d’une narration académique pour sautiller librement d’une scène à l’autre, d’une transgression à l’autre : polygamie, inceste, lesbianisme, remise en cause de l’autorité de l’homme. On rêve de spectacle et d’Asakusa (célèbre quartier d’artistes où a débuté Takeshi Kitano), en oubliant ou négligeant la famille (voir la place de l’enfant). Et suprême irrévérence, cette décadence s’opère dans la joie.
A aucun moment, les personnages paient leurs écarts vis-à-vis de la norme. Les scènes de strip-tease, colorées et enlevées, disputent aux multiples abandons amoureux la palme de l’allégresse. Chez Kumashiro, on devient riche en montrant son cul. Le cinéaste loue cette débauche ludique et même salvatrice et l’oppose à la détresse des personnages respectueux des conventions présentées comme hypocrites. Kumashiro s’amuse sans tabous, et le cinéma y acquiert une liberté étonnante.