Pour la sortie de son blockbuster animé et régressif, la compagnie de Steven Spielbeg Dreamworks, a sorti l’artillerie lourde, le rock qui tâche et qui pétarade, pour une collection de superproductions musicales hystériques et gonflées et à la testostérone. Un mélange d’artistes maisons et d’obscurs tâcherons composent cette B.O. survoltée et bâtarde, le cul entre le mauvais goût mainstream (Eddie Murphy chantant I’m a believer) et la délicatesse underground (Rufus Wainwright reprenant Allelujah de Leonard Cohen), pour un florilège démagogique et rouleau compresseur, apte à conquérir ceux qui iront à reculons comme ceux acquis d’avance, de 7 à 77 ans. Des trépidations rock de Self (Stay home) aux mignardises pop de Eels (My beloved monster, seule chanson un peu subtile du lot, avec Allelujah), la B.O. de Shrek ne fait pas dans la dentelle. Elle bourrine, rote et pète à qui mieux mieux, en une succession de guitare saturées, de slaps de basse et de roulements de batterie monstrueux.
Racoleuse et vulgaire, cette B.O. ne laisse pas un instant de répit au pauvre auditeur, sommé de se rendre à ce déploiement quasi militaire d’une musique commercialement agressive, dont la cible semble être le système nerveux, et le but sa totale rédition. De la r’n’b bodybuildée de Leslie Carter (Like wow !) à un improbable mélange de Ricky Martin et de Senor Coconut (Rest years of your lives des Baha Men), en passant par un clone très réussi de Joan Jett (Halfcocked), on ne pourra certes pas reprocher à Dreamworks de faire du sirupeux à la Walt Disney, même si le slow de Dana Glover (It is you (I have loved)) opère une incursion réussie en territoire ennemi (piano au clair de lune et voix passée sous mille couches de réverbérations et d’effets). Et nulle doute que Dreamworks et Shrek se prévaleront de ce choix « décalé » d’une B.O. qui saura conquérir les bambins fans des Animaniacs ou de Fuli Kuli autant que les vieux barbons, leurs pères, épris de gros rock.
Au final, on se demande ce que Rufus Wainwright et sa reprise d’Allelujah allaient faire dans cette galère, qui déforme le propos tout en nuance d’un des pères de la pop musique. On se demande aussi ce qu’auraient pu produire Daniel Johnston et Jad Fair, songwriters américains obscurs et pourtant émérites, qui ont su faire de la chanson de monstre un genre à part entière, en rendant grâce au caractère particulièrement émouvant de cette essentielle figure du cinéma, du King Kong de Merian Cooper aux Freaks de Todd Browning. Quelque chose que devrait savoir Steven Spielbeg (comme en témoigne E.T.), mais que n’ont pas compris ses conseillers en marketing, et les compilateurs de cette vilaine B.O. : les monstres ont une âme.