De rééditions en souvenirs littéraires, l’œuvre de Maurice Pons commence enfin à sortir de l’oubli relatif dans lequel elle avait sombré, les reparutions successives de la Passion de Sébastien N. (que les éditions du Dilettante ont préféré réintituler le Festin de Sébastien) puis de ces dix délicieuses Virginales permettant d’espérer d’autres reprises prochaines, à commencer par celle du fameux Métrobate qui, publié par René Julliard en 1951 (les éditions Julliard jouissant à l’époque d’une réputation toute particulière), inaugurait la carrière de l’un des plus précieux écrivains français de ces dernières décennies. C’est dans les années d’après-guerre que, jeune strasbourgeois venu étudier en Sorbonne, il rédige d’une écriture « minuscule et torturée » cette poignée de récits faussement naïfs dans lesquels, s’inspirant des Enfantines de Valéry Larbaud, il mettait en scène les souvenirs d’une enfance pareille à un âge d’or en décrivant d’une plume fraîche et classique ses mythes, ses codes, ses fables fanfaronnes et ses règles de conduite parallèles ; dans chacune, en contrebandier malicieux, il s’efforce de placer l’adjectif dont il sait déjà qu’il leur servira de titre commun. L’un de ces récits enchanteurs côtoya dans la revue mensuelle La Table ronde quelques pages du Journal de Mauriac, lequel, toujours très à cheval sur la morale, s’ému grandement de la douce perversité du jeune nouvelliste (« Passe encore le touche-pipi, mais pas le pipi », aurait-il déclaré au comité de rédaction) : Maurice Pons, de la sorte adoubé, pu désormais semer ses textes à droite et à gauche, recueillant d’ailleurs à chaque fois les éloges empressés du Figaro, sous la plume d’un Claude Mauriac jamais à court d’idées pour agacer son géniteur. René Julliard, « un homme impressionnant mais exquis », les compila finalement en 1955, en y ajoutant le court roman Métrobate qu’il avait déjà fait paraître quelques années plus tôt, à l’initiative du critique Robert Kanters, dans sa célèbre collection « La Porte ouverte » consacrée aux débutants. Le destin des Virginales ne s’arrêta toutefois pas à cette publication sous la fameuse couverture à bandes vertes : Pons rencontre dans les bureaux de l’hebdomadaire Arts-Spectacles une jeune homme « nerveux et toujours pressé, aux cheveux fous, aux superbes yeux noirs » : il s’appelle François Truffaut et, bien que n’ayant encore jamais tenu une caméra, s’est déjà rendu célèbre pour ses chroniques cinématographiques. Après avoir emmené son aîné à une projection du « Plaisir » d’Ophüls, adaptation de trois nouvelles de Maupassant, il lui expose son projet personnel : un long-métrage adaptant de la même manière trois histoires sur le thème de l’enfance, écrites par trois écrivains différents, et dont l’une serait les « Mistons » tirés des Virginales. S’engagea aussitôt un tournage à coup de bouts de ficelles (techniciens bénévoles, matériel de prêt ou à crédit, option gratuite de six mois arrachée aux éditions Julliard) en plein Midi, les deux héros de la nouvelle de Pons (Etienne et Yvette) étant finalement rebaptisés du prénom des deux acteurs, Gérard (Blain) et Bernadette (Lafont, laquelle faisait là sa première apparition à l’écran). Le monde des Virginales ressemble bien à celui du cinéma de l’auteur des Quatre-cents coups : Pons y écrit l’innocence enjouée de cet âge intermédiaire où les jeux de l’enfance voisinent avec l’éveil de sentiments jusqu’alors inconnus, où la découverte curieuse des corps se joue dans une impudeur magique dénuée de toute perversité. Dans une superbe langue classique, il parvient à résumer en quelques pages l’atmosphère et les sensations ambiguës d’expériences auxquelles l’adolescence ôtera bientôt tout leur charme. Entre érotisme ignoré et naïveté ludique, ces Virginales n’ont décidément rien perdu de leur charme secret. Traduit de l’enfance par Maurice Pons, en quelque sorte.
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