On avait gardé un excellent souvenir du précédent roman traduit de Michael Frayn, Tête baissée, brillante comédie lodgienne peuplée d’universitaires sympathiques, d’aristocrates tordus et de scènes burlesques franchement irrésistibles. D’abord connu pour son œuvre de dramaturge, Frayn fait partie des poids lourds de la littérature britannique : il l’a honorée de treize pièces de théâtre et d’innombrables traductions (essentiellement du russe), y a ses ennemis (les insultes que lui envoyait régulièrement Auberon Waugh restent légendaires) et ses réseaux (il est marié à une célèbre critique) et a déjà récolté une bonne partie de ce qu’on y offre comme prix et récompenses. Espions a ainsi reçu le Whitbread Novel Prize, l’une des couronnes les plus prestigieuses du royaume ; la déception n’en est que plus grande.
En lieu et place du grand roman qu’on pressentait, Frayn propose une déclinaison bien tenue mais tristement banale sur le thème de l’enfance et de l’initiation, le tout sur fond de guerre mondiale et de petites trahisons entre adultes. Début des années 1940 : le narrateur, Stephen, une dizaine d’années, fait les quatre cents coups dans une banlieue bourgeoise tranquille avec Keith, le fils des voisins. Keith est orgueilleux, volontaire, casse-cou et admirable : lorsqu’il annonce à Stephen que sa mère est une traître à la solde de l’ennemi, Stephen ne doute qu’un temps. Les deux garnements s’ingénient alors à surveiller les moindres faits et gestes de la suspecte, fouillant dans son journal (une croix toutes les quatre semaines : sans doute le signe d’un rendez-vous avec l’ennemi), montant des tours de garde et aménageant au mieux une planque artisanale de l’autre côté de la rue, histoire de pouvoir noter ses déplacements à la minute près. La manière dont le romancier reconstitue l’univers de l’enfance, avec ses illusions, ses naïvetés et sa propension aux grandes aventures, ne manque certainement pas de piquant ; l’ambiguïté de la période choisie et la complexité du monde adulte sont eux aussi restitués avec finesse. Reste que le roman peine à trouver un rythme, et l’on a du mal à se passionner pour une intrigue à laquelle Frayn, pour ne manquer ni d’humour, ni de style, ne parvient pas à donner une véritable dimension. Il y a dans tout cela quelque chose de déjà vu, une manière d’académisme un peu trop respectable et de mièvrerie inavouée, comme si Michael Frayn avait voulu donner avec Espions les gages irréfutables du grand écrivain. On ne doute pas une seconde qu’il le soit à tous points de vue, mais on aurait aimé un texte un peu moins convenu.