La simple lecture du CV de Karmen en dit long sur l’état du cinéma noir africain. Film sénégalo-franco-canadien, il représentait l’Afrique au dernier Festival de Cannes, sur un strapontin presque humanitaire (une « séance spéciale ») de la Quinzaine des réalisateurs. Tout cela produit par le mécène Daniel Toscan du Plantier, c’est-à-dire soutenu à bout de bras par la francophonie. D’où un avantage : quelques moyens, ici précieux, en son et musique. Mais ce genre de production donne aussi facilement dans la jolie image, très facile sous le soleil africain… Le réalisateur est tombé dans le panneau, ce qui n’est peut-être qu’un moindre mal vu les autres défauts du film qui montrent les limites d’un cinéma fauché et amateur : les acteurs sont approximatifs, et la mise en scène, un peu dilettante, laisse parfois le film en roue libre.
Le long métrage de Gaï Ramaka revisite le mythe de Carmen en gardant la trame principale et quelques vers de l’opéra de Bizet. La transposition dans un village d’Afrique noire se fait sans mal puisque le personnage espagnol originel et la somptueuse noire de Karmen partagent cette même féminité triomphante qui rend fous les hommes. Dans la scène d’ouverture, Karmen exécute une danse effrénée devant une directrice de prison qui est subjuguée. Nous aussi, vu le show très chaud de l’actrice, rythmé par des tambours entêtants. Le style du film est planté : sensuel et musicalement ancré dans l’Afrique. Libérée après sa danse, Karmen séduit un policier le jour de son mariage. L’infortuné ne prend pas garde à lui et va devenir fou, car Karmen est inatteignable, farouchement libre, « oiseau de bohème » qui veut voler plus haut que les autres. Formellement, la réalisation ne fait pourtant pas passer grand-chose de la folie des personnages masculins ou du mystère de Karmen. Seule l’actrice, étonnante de présence, et la musique du film retiendront vraiment notre attention. Quasi permanente et très contrastée, cette dernière n’a rien à voir avec l’opéra de Bizet. Un jazz élégant accompagne la plupart des scènes alors que des percussions assurées par l’expert Doudou N’Diaye Rose rythment les danses. De par le décalage exotique d’avec Bizet et grâce à ces moments vraiment singuliers de comédie musicale, le film trouve un ton unique qui en fait presque l’unique raison d’être.