Voici une curiosité discographique due au violoncelliste allemand Werner Thomas-Mifune. L’homme n’est pas un inconnu et il a déjà gravé de nombreuses œuvres du grand répertoire (Sonates pour piano et violoncelle de Beethoven, Schumann et Schubert avec Carmen Piazzini, Concerto de Dvorak chez Koch…). Aujourd’hui, il nous propose des arrangements pour ensemble de violoncelles d’oeuvres d’Astor Piazzolla et de Piotr Illitch Tchaïkovski, autour d’un thème : les quatre saisons.
Existe t-il un lien entre l’art de Piazzolla et celui de Tchaïkovski ? on peut raisonnablement en douter et les saisons du russes et celles de l’argentins sont évidemment d’inspiration fort différentes.
Peu importe car l’auditeur ne boudera pas son plaisir à l’écoute des quatre mouvements argentins. Piazzolla retourne ici au sources du « tango nuevo » dont il avait été l’inventeur vingt ans plus tôt. Et Werner Thomas-Mifune respecte parfaitement l’esprit du compositeur. Il s’inscrit dans la tradition du tango ouvert aux combinaisons les plus variées. A l’origine composées pour violon, guitare, piano et contrebasse, Les Quatre saisons sont éclairées, dans l’interprétation d’un ensemble de violoncelles au timbre chaleureux, d’une émotion nouvelle. Le bandonéoniste Alfredo Marcucci y est bien sûr pour beaucoup. Après 40 ans de carrière, ce musicien sensible, véritable ambassadeur de la musique d’Argentine distille Les saisons avec un bonheur communicatif. Son anthologie du tango, parue il y a huit ans, reste, surtout pour les interprétations des œuvres d’Anibal Troilo (un autre grand du tango injustement ignoré en France), un sommet du genre. L’arrangement n’enferme jamais Les saisons dans un folklorisme de façade et les grognements, les grincements notés dans la partition de Piazzolla vivent pleinement.
Il en va tout autrement de la version des Saisons de Tchaïkovski. Composé de douze épisodes (chaque mois de l’année), ce cycle est à l’origine pour piano solo. Visiblement, Werner Thomas-Mifune, privé ici du talent du bandonéoniste, ne parvient pas à décoller le nez de la partition. On comprend mal le sens de son propos d’arrangeur et une quelconque justification musicale à ceci. Certains mois ne sonnent pas, à force d’être exploités dans des tessitures inhabituelles. Le timbre est comme travesti. Le carnaval (février) est un assemblage mal fichu dont les traits sonnent faux, l’articulation est hésitante… et que dire des miaulements de novembre ? L’écriture de Tchaïkovski est trop rigide, trop académique pour accepter la transcription pour un ensemble si particulier d’instruments au registre fondamentalement grave.
Ainsi faut-il encourager Werner Thomas-Mifune et sa Philharmonie de violoncellistes à se risquer à un autre répertoire. Au-delà de Villa Lobos, sait-il qu’Alain Bancquart en France (Icare), Luis de Pablo en Espagne (Ritornello), ou Xenakis (Retour de 1976), ont apporté à ce type de formation des œuvres originales d’une grande beauté ?
Philharmonie des violoncellistes + Alfredo Marcucci (bandonéon)
Enregistré du 9 au 12 mai 2000 à Munich