Magnard (1865-1914), élève de Massenet puis de Vincent d’Indy qu’il remplacera à la Schola Cantorum, sera à son tour le professeur de Déodat de Séverac (dont Billy Eidi vient d’enregistrer quelques pièces enivrantes pour Pianovox / Sony) et le maître spirituel de Poulenc. C’est dire qu’il se situe au cœur d’un nœud important de la musique française. Une biographie fascinante (fils du directeur du Figaro, le journal alors le plus influent de Paris, il renonce à cette rente de situation pour ne devoir sa reconnaissance qu’à son propre talent), démissionnaire de l’armée française pour cause de dreyfusisme, retiré, solitaire, il connaît une mort héroïque et absurde en défendant seul sa famille et sa maison contre l’armée allemande dès le 3 septembre 1914. Voilà tout ce que l’on retient -on conviendra que ce n’est pas rien- d’un musicien qui fut toujours salué par ses pairs comme un des meilleurs. Sa Sonate pour violon et piano op. 13, dont on devrait fêter cette année le centenaire de la création (1901), est une pièce maîtresse du répertoire qui conjugue, à la manière d’un Brahms français, élan vital et cadre rigoureux. Des gestes musicaux accordés à l’ampleur de sa vision, l’exploitation d’un très large ambitus caractérisent un premier mouvement plein de sève. Le deuxième, Calme, bâti sur le contraste de plages sereines et de brusquerie, introduit cette alternance de vigueur et de lyrisme qui sous-tend son troisième mouvement. Couleurs, puissance d’évocation, sens de la forme, le Large – Animé final conclut une pièce que l’on ne peut plus ignorer davantage. Mais quand la France se cherchait un cadre esthétique dans un contexte anti-allemand, pareille inspiration ne pouvait qu’être en butte aux credo du temps (voir notre mag). Les Trois pièces pour piano op. 1 qui suivent, ainsi que le reste du programme au registre plus léger, fourniront aux jeunes pianistes des occasions de renouveler leur répertoire. Pour la première d’entre elles, un très beau choral, simple mais profond, introduit une fuguette à trois voix. On y décèle l’exercice d’école que s’impose le jeune compositeur mais sa façon de le transcender annonce déjà une forte personnalité. Une Feuille d’album et un Prélude et fugue complètent cet opus 1. Ces pièces furent immédiatement mises au programme du concours de piano du conservatoire de Nancy par son ami Guy Ropartz dès sa prise de fonction : en voici le premier enregistrement mondial. Que ce soit la basse ambulante et presque « jazzée » de En Dieu mon espérance et mon espée pour ma défense ou les pages ici bien défendues, sans mièvrerie ni affectation, de la Suite dans le style ancien, on aura plaisir à prolonger la découverte de ce musicien secret par ces pages sans prétention mais qui donnent une idée de la tenue d’une œuvre dont l’essentiel reste à découvrir. Lors de l’incendie de sa maison, tous les manuscrits de Magnard disparurent et sa musique non encore publiée (ce qu’il prenait soin de faire lui-même) partit en fumée.
Robert Zimansky (violon), Christoph Keller, Katharina Weber (pianos). 1983 et 1988