Les spectres japonais sont à la mode. Après le médiocre Ring (plébiscité par notre rédaction malgré une sérieuse tendance au recyclage sans génie), c’est au tour du virtuose Kiyoshi Kurosawa de frayer avec les messages de l’au-delà et autres apparitions post mortem. Comme dans le film de Hideo Nakata, les phénomènes paranormaux sont ici intimement liés aux nouvelles technologies. Ainsi, les jeunes adultes de Kaïro changent de comportement à la suite d’une connexion à un étrange site internet qui leur propose de converser avec un fantôme pendant que défilent les images effrayantes d’un personnage flou et suicidaire. Encore une fois, l’idée de propagation du mal est au cœur de l’horreur contemporaine, là où se lisent la peur des virus et la terrible présomption d’un monde dévoré par ses propres créations.
Aux antipodes d’un banal film de genre, Kurosawa reprend ces données pré-apocalyptiques pour les intégrer à un travail ambitieux qui, en dépit d’une photo particulièrement fade, mêle avec un certain génie abstraction, bizarreries plastiques et figurations évanescentes. Si le récit de Kaïro ne s’aventure pas dans des chemins sinueux à la Charisma, le cinéaste fait preuve d’une inventivité formelle assez impressionnante, du moins dans sa première partie, fertile en mystères flippants et contagions mortifères. Parce que chaque cadre de Kurosawa recèle sa part d’inquiétude, le spectateur reste un temps alpagué par une histoire plutôt quelconque de revenants au statut incertain, naviguant entre humanité mélancolique, manifestations ponctuelles et évaporations cendrées. Pourtant, si fascinants soient ces motifs, leur répétition ad libitum finit par lasser, tandis que le scénario cumule de son côté les séquences laborieuses qui minent à leur tour l’impact et la crédibilité (nécessaire même au cœur d’un univers fantastique) du film. A l’instar de beaucoup d’œuvres signées Kurosawa, Kaïro en met plein les yeux avant de se dégonfler mollement et de réduire à peau de chagrin son exceptionnel potentiel de départ. Tout ça à cause d’une histoire paresseuse qui préfère s’effilocher sans guère d’idées plutôt que d’affronter avec vigueur ses démons véritables (l’obsession de la solitude et de la disparition). Ne reste alors plus que la mise en scène, impeccable jusqu’au bout mais qui ne suffit plus à compenser une narration récalcitrante.