Hellborg : le Bill Laswell suédois ? La question se pose depuis quelques temps déjà, et ne manquera pas de surgir à nouveau avec le cinquième épisode de sa collaboration avec le guitariste américain Shawn Lane, partenaire privilégié d’un projet plus séduisant que jamais, à l’intersection des musiques orientales et occidentales. Pour qui gardait du bassiste scandinave le seul souvenir de ses fracassantes expériences néo-punk en compagnie des jumeaux Johansson, et, de l’américain, l’image d’un aimable guitar-hero versé dans le country rock et le gangsta rap (il a travaillé avec Black Oak Arkansas ainsi qu’avec les loustics du groupe Al Kapone), cette série d’enregistrements réalisés pour son propre label new-yorkais pourra susciter une légère surprise : terminées les détonations binaires du turbulent trio de virtuoses aux cheveux sales, ses nouvelles aventures s’inscrivent bien plutôt dans le sillage méditatif des tentations indiennes de John McLaughlin, dont Hellborg a longtemps été l’un des plus inconditionnels admirateurs avant de rejoindre lui-même le Mahavishnu Orchestra seconde mouture (au début des années Quatre-vingts) et de se produire à plusieurs reprises en duo avec son idole. Difficilement réductible à une catégorie ou à une autre, l’esthétique polymorphe de cet ensemble d’albums, le plus souvent captés en public, s’est peu à peu affinée autour des influences majeures qu’aura contribué à laisser le sinueux itinéraire du leader : si les longues ornementations à cordes du précédent opus (Zen House, enregistré en 1999) pouvaient sembler quelque peu lénifiantes, l’équilibre est ici parfait entre les pôles oriental (le percussionniste indien V. Selvaganesh, dont on avait déjà pu repérer le nom et le talent aux côtés de McLaughlin dans The Believer du groupe Remember Shakti) et occidental (le jeu très rock de Lane), Hellborg lui-même formant le trait d’union idéal entre ces courants étrangement mêlés.
De méditations acoustiques en éclats d’énergie hérités de la scène punk/funk que le bassiste a si longtemps fréquentée, de jeux de répétition obsessionnels et autres ragas en échanges instrumentaux passionnants (dialogue, émulation ludique), la palette des impressions et des humeurs ne semble ne pas devoir trouver de limites, malgré la monochromie de l’instrumentation. Sans jamais tomber dans les pièges du folklore et du déguisement exotique, le groupe parvient, par un travail de tous les instants sur la tension et le rythme, à maintenir l’intérêt et à provoquer la surprise ; entre jazz, funk et ragas (écoutez la stupéfiante partie vocale de Selvaganesh sur Leal Souvenir), très au-dessus des tentatives du genre (celles d’un Jan Garbarek –Ragas and Sagas– mais aussi, sans doute, des albums en leader de Trilok Gurtu, avec lequel Hellborg a d’ailleurs souvent travaillé), les trois barbus (voir les photos de la pochette) proposent un son inédit et fascinant, définitivement rétif aux étiquettes. Sinon aux plus généralistes : musique du monde, peut-être, ou musique tout court, pourquoi pas.
Jonas Hellborg (b), Shawn Lane (g), V. Selvaganeh Kanjeera (udu, voc), invité : Ustad Sultan Kahn (sarangi).