Les amateurs de rare groove avaient découvert le titre Inspiration information de Shuggie Otis sur la compilation The Smoocher du défunt label Big Cheese : un tube potentiel impossible à danser, miné par d’invraisemblables contretemps nonchalants, une merveille de sweet soul music sensuelle millésimée 1974, illuminée par une voix douce et gracile, presque adolescente. Pour beaucoup, les secrets de l’album Inspiration information demeuraient enfouis depuis plus de 25 ans dans le back-catalogue de Columbia-Sony. Remercions donc David Byrne pour cette réédition salutaire, qui rend enfin justice à ce génie précoce, injustement ignoré par l’historiographie officielle de la soul 70’s.
Inspiration information marque l’apogée d’une fulgurante carrière musicale. Encouragé par son père, le musicien de R&B californien Johnny Otis, Shuggie commence à jouer de la batterie à 4 ans puis découvre la basse et le piano quelques années plus tard et devient guitariste de blues professionnel à 12 ans. Avant de signer sur Epic en 1970, il s’était déjà illustré sur les fameuses Sessions d’Al Kooper et sur le séminal Hot rats de Frank Zappa. A 21 ans, Shuggie Otis a déjà trois albums solo à son actif lorsque les Rolling Stones lui proposent de remplacer Mick Taylor à la guitare : il décline poliment leur offre. Suite à l’échec commercial d’Inspiration information, Epic ne renouvelle pas son contrat et, victime de graves problèmes de santé, Shuggie Otis s’éclipse, réapparaissant épisodiquement comme sideman dans des orchestres de blues.
Pourtant, rien ne pouvait laisser présager un tel désastre artistique à l’écoute d’Inspiration information, une œuvre singulière et ambitieuse, entièrement composée, arrangée et interprétée par le jeune prodige (à l’exception des cuivres et des cordes). Fruit de trois années de travail en studio, l’album égale sans exagération les plus belles réalisations de Sly Stone ou de Willie Hutch. Inspiration information pourrait être l’alter ego optimiste de There’s a riot goin’ on ou de Fresh !, une œuvre sereine, fluide, dénuée de toute amertume sociale et narcotique. Mi-vocales, mi-instrumentales, les neufs compositions se déroulent majestueusement comme une suite de songes impressionnistes s’évanouissant dans les cieux californiens. Shuggie Otis baignait manifestement dans un état de grâce surnaturelle : les arrangements orchestraux dépassent en finesse ceux de Curtis Mayfield (Rainy day), sa voix angélique rivalise de fragilité avec celle d’Aaron Neville et les bijoux d’innocence pop-soul que sont Sparkle city et Happy house viennent narguer la suprématie d’un Sly Stone sur le déclin.
Cette réédition est agrémentée de cinq titres de l’album Freedom flight (1971), véritable manifeste de psychedelic-soul. Tout y est : du bayou-funk enterrant les Meters et Dr John (Sweet thang), à la soul acidulée de Strawberry letter 23 (dont il aura fallu attendre une reprise des Brothers Johnson pour en faire un tube mondial), jusqu’au jazz mystique de Freedom flight, une longue improvisation cosmique faisant écho à Hendrix et Pharoah Sanders. Deux œuvres de maturité composées par un jeune poète visionnaire à la coupe afro. Deux classiques indispensables.