13 jours, c’est le temps qu’il a fallu aux cinq francs-tireurs bruxello-liégeois d’Electro:lux pour enregistrer dans une villa d’Ibiza leur premier album : L’Ile aux lézards. Pour qui n’a pas encore su mettre la main sur leur précédent single (Ultracortex) enregistré par Max Bodson de Patton, ou pour qui ne les aurait encore jamais entendus aux côtés de Fly PanAm, Piano Magic, Movietone, Clinic, 22 PistePirko, Calc, etc., voici une session de rattrapage. L’Ile aux lézards est un album instrumental totalement bluffant, servi par un son énorme, où chaque instrument se voit scrupuleusement accorder un temps égal de parole. Un album oscillant entre les virées champêtres de David Gilmour sur Ummaguma, la beauté des paysages en arabesques de Madrid, et des arrangements electro à la Tarwater (Silur).
L’Ile aux lézards s’ouvre on ne peut plus efficacement : quatre minutes et nous voici déjà au troisième titre. Le morceau liminaire évoque la mise en branle d’une machine : le bourdonnement laisse place à une rythmique robotique et primaire bientôt doublée de guitares étirées puis d’une batterie alerte, jouant sur la caisse claire et la charley. Kalakarbo a déjà commencé et prend forme lentement ; une guitare se superpose encore : affalé dans un canapé, on est vite conquis par l’ampleur et la luxuriance du son, le couplage des sons électroniques et organiques. Encore émerveillé par cette ambiance à la Swung from the gutters de Tortoise, on est agressé par une voix minaudante de vieille Marie-Chantal. On lui demanderait bien de se taire, mais un bruit de sonnette se charge de la faire disparaître habilement : Bigboss man and miss micro’s wedding sort alors un bon gros riff de guitare plein de vibrato et de bends qui vient remuer les fesses de ladite madame, tandis qu’un névrotique désopilant pousse une gueulante en fond sonore. Loin de cette ambiance olé-olé, les arpèges de folk mariés à un orgue d’église de Konsumehr rappellent la mélancolie suédoise et bucolique de Nicolai Dunger sur son Organ track (extrait de This cloud is learning). Nouvelles ruptures de ton avec Plow qui érige une cathédrale de guitares dédiée au Washing machine de Sonic Youth, puis Befestingungsteile et Démocratie, dont les volutes de guitares en delay et flanger, et les accords profonds de piano, évoquent certaines des plus belles plages ambient de Micro:mega ou Fragile. Le bien nommé Assomption joue quant à lui sur un autre tableau puisqu’il fait s’accoupler en une montée orgasmique nappes d’orgue, guitares arpégées, samples de cuivre, bleeps, rythmiques électroniques et organiques. Enfin, pour finir de nous convaincre, l’album se clôt, comme il s’était ouvert, par deux morceaux assemblés plongeant à nouveau dans des ambiances plus électroniques. Sombre et planant, Georges II déroule sur un tapis rouge et en rang serré une flopée d’instruments : rythmique sourde et syncopée, nappes d’orgue, ligne de basse profonde, bleeps qui pètent de partout, guitare folk arpégée.
A écouter les samples foutraques qui agrémentent l’album, on peut se demander si, reclus sur leur île, les cinq membres d’Electro:lux n’ont pas carburé aux psychotropes. Une chose est sûre : ils devaient être hilares à sampler sans hiérarchie de valeur des extraits sonores de Giacinto Scelsi ou de cette immonde sitcom que le groupe s’est plu à exhumer de l’oubli (qui lui seyait pourtant pas si mal) : La Vallée des peupliers, dont est ici extrait un dialogue inénarrable où l’ignoble Richard rabroue sa pouffe. De briseurs d’icônes, Electro:lux pourrait pourtant aisément devenir les forfanteurs qui-font-rire-les-copains. Voyez ce nom kitschissime, écoutez ce dialogue bidonnant sur Richard = Vassilly. Heureusement, Electro:lux jongle habilement avec les genres et les ambiances. C’est dire qu’avant d’être un groupe drôle, Electro:lux est un drôle de groupe, qui devrait parvenir sans mal à monopoliser votre chaîne pour des écoutes en boucle.