« Un juste retour des choses ». Voici comment Erik Truffaz décrit l’album de remixes Revisité. Révélé au sein de la scène electro-jazz londonienne, le quartet d’Erik Truffaz s’est toujours inspiré des musiques électroniques actuelles sans jamais utiliser la moindre machine. On aura beau réécouter attentivement The Dawn (1997) et l’excellent Bending new corners (1999), on ne trouvera pas la moindre trace de boîte à rythmes ou de sampler dans le jazz électrique de cette formation franco-suisse, le batteur Marc Erbetta étant capable de rivaliser avec n’importe quel pattern drum’n’bass, en y injectant une souplesse et une liberté indispensable à l’improvisation jazz.
Remixer les albums du quartet semblait a priori une très bonne idée, d’autant que l’apparition d’Erik Truffaz lors d’une prestation live de Bugge Wesseltoft au Trabendo, avait nourri de sérieux espoirs dans la viabilité d’un projet discographique de fusion electro-jazz. Et pourtant, Revisité s’avère décevant. La riche matière sonore du quartet -instrumentale et vocale- est ici revisitée d’une façon assez conventionnelle. Les remixes se contentent trop souvent d’un exercice de style trip-hop sans surprise, figé dans le système métrique définitivement établi par l’écurie Mo’Wax en 1996 avec la compilation Headz. Dans son remix de Siegfried, DJ Goo n’apporte rien d’essentiel à cette lumineuse ballade jazzy. Le même reproche pourrait être fait à Alex Gopher, saupoudrant quelques clicks de vinyle et une basse fuzz sur Bending new corners. Et que dire de Bugge Wesseltoft, sinon qu’il manque singulièrement d’inspiration sur Sweet mercy. Il suffit d’écouter l’album Bending new corners pour se convaincre de la supériorité indéniable des titres originaux. Seul Pierre Audétat se démarque du lot, avec son remix mi-nerveux mi-lunaire de Less, point de rencontre improbable entre le Miles Davis de Kind of blue et celui de We want Miles.
Revisité n’en demeure pas moins indispensable par la seule présence de Pierre Henry, lequel signe ici son premier remix en 50 ans de carrière : 11 minutes de poésie sonore brute et d’onirisme primitif où l’on retrouve intacte la cosmogonie électroacoustique du père de la musique concrète. Sa version magistrale de More prouve qu’il est le seul remixeur à avoir saisi toute la richesse harmonique du jeu d’Erik Truffaz, plus proche d’ailleurs d’Eddie Henderson que de Miles Davis. En 1982, Pierre Henry avait déjà collaboré avec la formation jazz Urban Sax sur l’album Paradise lost, mais rien d’aussi fort n’était sorti de cette rencontre. En ressuscitant les lointains échos des cérémonie du peyotl, Pierre Henry donne à la trompette d’Erik Truffaz l’éclat froid du soleil noir des Tarahumaras. Par ce rite de mort et de renaissance Tutuguri, Pierre Henry a trouvé l’alchimie parfaite entre le jazz et la syntaxe électroacoustique. On attend avec impatience les fruits de leurs futures collaborations.