Dans tous les textes de James Lee Burke, un homme souffre de son passé et lutte pour échapper à une machine sociale aliénante. Après un cycle consacré à l’inspecteur Dave Robicheaux, La Rose du Cimarron introduit l’avocat Billy Bob Holland, ancien Texas Ranger hanté -au sens propre du terme- par le fantôme de l’ami qu’il a abattu accidentellement lors d’une opération contre des trafiquants de drogue. Lorsque son fils illégitime se voit accuser de viol, il est contraint de mettre le nez dans une affaire qui ne sent pas bon du tout. Le cours de l’enquête l’amènera à remuer la chienlit de l’humanité, drogués, prostituées, hommes d’affaire corrompus et autres agents fédéraux pourris, avec leur lot d’intimidations, de chantages et de meurtres. Si la trame elle-même n’offre que peu d’originalité, le dispositif narratif mis en place par Burke donne au roman tout son intérêt.
L’histoire se déroule dans le Sud des États-Unis, près de la frontière mexicaine, un territoire âpre et rude que Burke décrit avec la même ferveur que les autres écrivains du Montana, comme Jim Harrison ou James Crumley. Un environnement qu’il s’agit d’installer à travers des descriptions répétées comme une figure à part entière, en contrepoint de la frénésie humaine.
Car l’intrigue multiplie les seconds rôles, les fausses pistes et mélange les informations. Dans ce récit touffu à l’extrême, le lecteur est aussi rapidement largué que le narrateur ; mais le but de ce petit jeu de pistes consiste justement à l’égarer. Ce procédé permet en effet à Burke de mettre en scène sa vision d’une humanité dans laquelle « l’absence de sensibilité [est] presque comme une forme d’innocence », où le passé traque sans relâche les hommes et où le bonheur est toujours un privilège fugace dont il faut jouir sans illusion.
Dans ce texte comme dans les précédents, il faut reconnaître à Burke une véritable plume et une maîtrise permanente de son roman qui en font une mécanique narrative d’une efficacité et d’une intensité exemplaires. Il sait détourner le polar pour l’amener au-delà du stéréotype qu’il utilise. Cependant, l’aspect sériel de sa production limite l’éloge que l’on souhaiterait lui faire. En-dehors de tout préjugé contre les séries, et bien qu’une permanence des thèmes soit inévitable chez la plupart des écrivains, on ne peut s’empêcher de songer que ce nouveau cycle peine à se démarquer du précédent, dans lequel les mêmes obsessions étaient traitées avec le même style et les mêmes procédés. Et l’on referme le livre avec le sentiment que James Lee Burke ne doit plus beaucoup se surprendre lorsqu’il écrit et que, bientôt, son savoir-faire écrasera son inspiration et sa générosité artistiques.