Couples allant à vau-l’eau, prudence : Elysian Fields sort son deuxième album, Queen of the meadow. Rappelons les faits. En 1996, Elysian Fields, aka les New-Yorkais Jennifer Charles et Oren Bloedow, compagnons pour l’Etat civil, sortent Bleed your cedar : un album d’une élégance folle, trempé dans le folk, mâtiné de jazz et irradié par la voix suave d’une femme enfant à la moue boudeuse, jouant innocemment avec nos sens éveillés. En comparaison, Hope Sandoval (ex-Mazzy Star) passerait presque pour une gamine… Car si les fantasmes érotiques devaient avoir une bande-son idéale, d’aucuns prétendent que Bleed your cedar remporterait la palme. Jennifer Charles est alors suspectée d’être à l’origine d’une vague de ruptures sentimentales. Au bénéfice du doute, leur maison de disques, Radioactive, laisse le groupe récidiver mais dans l’intérêt général, se ravise et décide de bloquer la sortie du deuxième album produit par Steve Albini (en fait, Radioactive trouvait l’album trop brut et pas assez commercial).Elysian Fields signe alors chez Jet Set, label tenu par une bande d’irresponsables. La preuve ? En dépit des risques d’une nouvelle vague de divorces, le label accepte la sortie de Queen of the meadow.
Album de musique de film noir, de cabaret jazz, de bar pour buveurs d’absinthe, de torch songs (chansons d’amour tragique), Queen of the meadow brouille les pistes. En effet, parmi la masse considérable de ses influences musicales, Elysian Fields semble incapable d’en privilégier une : il les fait donc tourbillonner aux quatre vents, et les combine à son gré. Le violon et la rythmique de Black acres doivent ainsi tenir autant de la passion d’Oren Bloedow pour le jazz (par ailleurs, membre occasionnel des Lounge Lizards, habitué de la Knitting Factory, collaborateur fugace de Marc Ribot, etc.) que de son intérêt pour la musique yiddish (d’ascendance ashkénaze, il y a déjà consacré un album avec sa compagne). Loin de l’univers urbain new-yorkais, Queen of the meadow et ses guitares folk, son banjo et son accordéon, nous emmène, au son de la chaude voix d’Oren Bloedow, dans l’Arizona d’Howe Gelb. Sur Cities will fall, la voix de Jennifer Charles flotte en apesanteur sur les arrangements délicats de piano et de guitare jazz. A quand le duo avec Josh Haden de Spain ?
Au romantisme échevelé de Jeff Buckley, que fréquentait le couple Charles/Bloedow, le groupe oppose l’univers fantastique et morbide d’Edgar Allan Poe (dont le poème Dream within a dream est ici mis en bouche par Jennifer Charles, avec de superbes arrangements de cordes). Elysian Fields, groupe lettré ? En tout cas, si l’on appelle encore « paroles » les ânonnements de certains rockeurs lobotomisés, Elysian Fields mérite immédiatement le Pulitzer. Car quel groupe de rock cisèle encore ses textes de rimes et de métaphores filées (« Born of your rib was my first catacomb / Back raging inside you / I finally felt home », « Née de ta côte ma sépulture première / Après avoir ragé en toi / J’ai fini par me sentir chez moi » ; « All hearts are open graves / And no one can be saved / Never be ashamed my love / All hearts are open graves », « Tous les cœurs sont des tombeaux ouverts / Et personne ne peut être sauvé / N’aie jamais honte mon amour / Tous les cœurs sont des tombeaux ouverts » ) ?
Ce n’est peut-être pas un hasard si l’ambiance menaçante et les paroles de Rope of weeds rappellent à notre bon souvenir certains morceaux de Murder ballads de Nick Cave. Par une nuit de lune menaçante, nous raconte Jennifer Charles, un pêcheur privé d’amour attrapa dans ses filets une femme à moitié nue. A peine à bord, il la déshabilla et en tomba amoureux. Ils se jetèrent par-dessus bord et s’évanouirent dans la mer noire. Depuis, les deux âmes sœurs errent dans les fonds marins. A l’image de cette histoire qu’aurait pu imaginer Maupassant, Queen of the meadow, digne successeur de Bleed your cedar, est un disque voluptueux et noir. Laissez-vous enivrer, succombez à ses charmes et plongez.