Clive Barker est un touche-à-tout. Ecrivain (Livre de sang, Cabal, Imajica, Secret show), illustrateur et scénariste de BD, puis réalisateur (Hellraiser -Pinhead, « Tête d’épingle », ça vous revient ?-, Le Maître des illusions), le maître de l’épouvante, à placer entre Stephen King, H.P. Lovecraft et Philip K. Dick, se fait maintenant la main sur le videogame. Si Barker varie les supports, pour autant l’auteur anglais illustre avec constance ses thèmes de prédilection, comme l’atteste le scénario d’Undying.
En 1899, Jeremiah Covenant et ses quatre frères et sœurs se rendent sur l’île aux Menhirs pour y lire à voix haute une obscure incantation. Un jeu innocent au demeurant, sauf qu’ils viennent sans le savoir de déclencher une vague d’horreur qui décimera sur vingt années toute la famille. En 1922, la malédiction s’est bien abattue sur la famille Covenant. Jeremiah, seul rescapé mental de la troupe (Lizbeth, Aaron et Ambrose sont décédés, Bethany a perdu la boule), se meurt dans le gigantesque manoir familial. Cauchemars et hallucinations hantent son esprit, les domestiques font régulièrement état d’apparitions étranges au cours desquelles les fantômes de la famille entament des discours alambiqués à base de menaces ou d’anecdotes -références à un passé lugubre. Indéniablement, le manoir des Covenant et ses alentours (la côte est de l’Irlande) constitue depuis cette imprudente lecture un terrain de jeu pour Satan et ses sbires. Mourant, Jeremiah en appel à Patrick Galloway, vieux camarade de tranchées aujourd’hui détective spécialisé dans le paranormal, pour enquêter et conjurer le triste sort des Covenant.
Véritablement, c’est le fond qui distingue Undying des productions récentes. Pour la forme, les concepteurs ont en effet opté pour la sempiternelle formule du quake-like, cette fois-ci basé sur le très respectable moteur d’Unreal tounament. Nous voici donc en terrain familier en ce qui concerne l’interface, seuls les décors, qui respectent naturellement le contexte du jeu, nous font oublier, et finalement pardonner, l’usurpation technique.
Tout ça ne sera pas sans rappeler quelques beaux moments de frayeurs aux adeptes du survival horror (Resident evil, Parasite Eve). Au-delà de cette facilité scénaristique axée sur l’effet de surprise, c’est quand même dans la durée qu’Undying tire son épingle du jeu et s’apprécie complètement. Dans le manoir (où l’on retourne après chaque pérégrination), le monastère en ruine (qu’on visitera également en excellent état dans le passé, façon Nom de la rose, lorsque les moines ont commencé à péter les plombs), dans le repère des Trsantis ou sur l’île aux Menhirs, l’atmosphère est toujours oppressante. Au gré des recueils et parchemins récupérés, des secrets découverts, des mondes parallèles visités et des anecdotes comptées par les dernières âmes saines du coin (Jeremiah, les domestiques, le gardien du phare, etc.), le vaudeville de l’horreur prend régulièrement une nouvelle tournure, sans jamais qu’une explication rationnelle n’abrège notre jouissive souffrance. Autant d’indices incroyables et de révélations terrifiantes au service d’une ambiance unique réellement captivante. Les sons -grincements de portes, bris de glaces, cris et murmures des âmes errantes- comme la musique sont à l’avenant.
Undying se distingue également du lot des quake-like en proposant, outre des armes plus ou moins habituelles (pistolet, fusils à pompe, cocktail Molotov, dynamite, lance-glace, faux celte, etc.), des sorts appris au fur et à mesure de votre progression dans l’aventure. La petite touche RPG quoi. Des sorts offensifs comme la foudre ou des crânes explosifs, ou de protection comme le bouclier de glace. Mais aussi des effets de perception extrasensorielle, qui vous permettent notamment de découvrir les tableaux du manoir sous un nouvel aspect. Comme celui qui rassemble la famille Covenant, version clean au naturel, version destroy/démoniaque sous l’effet de la magie.
On ne peut pas dire que les niveaux du jeu comptent énormément d’ennemis, comme s’il s’agissait de tourmenter plus encore le joueur tétanisé, toujours à l’affût d’une âme. En chair, en os, ou dans les airs, les esprits -Di’nen, chanteurs célestes, hurleurs, chasseur de Ghelziabahr…- viennent tout de même régulièrement briser l’isolement du joueur dans ce dédale glauque et pesant. A noter aussi la présence de boss de fin de niveau. En fait, le fantôme des membres de la famille, forcément plus coriace et furax que les autres…
Certains pourront reprocher à Undying son implacable linéarité (on suit sa voie en empruntant simplement les seules portes ouvertes…), mais vu la quantité astronomique de lieux -intérieurs et extérieurs- à visiter, on peut aussi considérer qu’il s’agit là d’une aubaine. Enfin, on aurait souhaité pouvoir explorer le monde de Barker à plusieurs en s’étripant online comme c’est la coutume. Pas de mode multijoueurs, hélas.
Quoi qu’il en soit, on s’ennuie rarement avec un bon quake-like. Pour l’intrigue et les sensations, Undying constitue même une valeur sûre.