On sait que les meilleures intentions ne donnent pas toujours de bons films. En voici une nouvelle preuve avec ce Royaume des rapiats qui se voudrait un hommage au cinéma des origines. Une belle démarche en soi, qui n’est pas sans rappeler celle de Philippe Garrel (versant suicido-underground : L’Enfant secret, Les Hautes Solitudes) ou du Canadien Guy Maddin (les tragédies lyrico-burlesques Archangel ou Tales from the Gimli Hospital). Autant d’œuvres et d’artistes placés sous le signe d’un âge d’or cinématographique, celui du milieu des années 20, juste avant que les prémices du parlant ne viennent ruiner les ambitions du muet alors au sommet de son expression plastique. Armés de leur caméra 16 mm et de pellicule noir et blanc souvent non sonore, ces expérimentateurs contemporains redonnent vie à un champ peu fréquenté par leurs confrères, un univers où le grain de l’émulsion et la lumière sur un visage ont plus d’importance que la ligne narrative, épurée chez Garrel ou délirante chez Maddin. Michel Vignaud, lui, ne s’embarrasse pas d’une telle rhétorique visuelle et s’embarque sur les traces de la fiction cocasse, à la recherche d’une certaine naïveté perdue -mais dont on se serait bien passé.
Directement issu d’un vieux film projeté comme par magie dans une salle désertée, le héros du Royaume des rapiats s’échappe de sa bobine pour pénétrer de plain-pied dans le monde d’aujourd’hui. Sans autre explication, voilà notre jeune Aladin sourd, muet et un brin idiot perdu dans les cruels méandres de notre société… Peu à peu se dessine alors une fable facile sur les liens forcément conflictuels entre innocence et rapacité, utopies de cinéma et dureté de la réalité. Amoureux d’une femme virtuelle dessinée sur un flipper de PMU, le protagoniste n’aura de cesse de la chercher, provoquant malgré lui l’incompréhension et parfois même la violence de ses congénères. L’amateurisme revendiqué de ce film fait de bric et de broc n’excuse en rien la bêtise de ses partis pris : jeu grotesque des acteurs, démagogie rance (Robin des Bois malgré lui, le héros redistribue l’argent trouvé aux gueux du village), mise en scène et bande sonore insignifiantes. Les éléments d’un cinéma à l’ancienne sont certes convoqués (cartons explicatifs, musique redondante, brèves surimpressions) mais s’apparentent davantage à des gimmicks artificiels qu’à une quelconque forme d’incantation poétique.