Si Les Visiteurs en Amérique apparaît comme le meilleur épisode -en tout cas le plus soigné, osera-t-on dire « le moins lourd » ?- de la saga comique lancée en 1992 par Christian Clavier et Jean-Marie Poiré, c’est sans doute qu’en inscrivant les péripéties anachroniques de leurs personnages décalés sous d’autres cieux, en l’occurrence la bannière étoilée qui signe l’affiche du nouvel opus, le film abandonne les oripeaux vulgaires de la grosse comédie à la française, flattant à peu d’efforts le « beauf » qui sommeille en nous -le garde champêtre qui pue, qui pète… etc.-, pour s’engager sur le terrain moins familier, tout aussi balisée, mais toujours moins navrant de la comédie américaine miroir social. Le film de Jean-Marie Gaubert -pseudonyme de Poiré- n’est pas le numéro 3 des aventures de Jacquouille la Fripouille et du seigneur de Montmirail : c’est une américanisation du modèle original jouée en anglais par les acteurs français à partir d’un scénario écrit par Poiré et Clavier qui tient compte du public américain visé.
On sait les Américains friands des films typiquement français ; ils y trouvent un parfum d’exotisme qui les grise et si ce goût yankee un rien « neuneu » nous afflige, nous sommes toujours flattés de l’attention intéressée de l’oncle Sam (ah ! les Américains aux Césars). Rien d’étonnant qu’un producteur ait été charmé par Les Visiteurs, sommet de « franchouillardise », gauloiserie sans complexes, à la fois éloigné de l’Amérique -le Moyen Age n’est rien pour un Américain moyen- mais très proche aussi : la France y est montrée comme une terre pittoresque et franchement déconneuse qui colle bien avec une certaine représentation américaine de la France, « pays du fromage qui pue ». Or, à ce jeu du « je t’achète pour très cher tes produits du terroir », le cinéma américain a toujours peine à gagner. Qui se souvient d’Intersection, remake grotesque des Choses de la vie ou de Tom Selleck reprenant le rôle de Michel Boujenah dans la reprise US de Trois hommes et un couffin ? Ici, la bonne idée est donc de reprendre les mêmes -ou presque- pour recommencer dans un esprit légèrement différent.
De l’éloge de la différence qui précède, on ne tirera quand même pas des conclusions trop rapides : le ton du film reste graveleux -on a son compte de vomi, crachats, pets et rots en tout genre, sans oublier deux scènes de pissotières utilisées comme des fontaines par nos grossiers personnages. Les sorts jetés donnent l’occasion de quelques effets spéciaux très laids, quant à l’intrigue, elle reste sommaire : une histoire d’aller-retour passé-présent dont on se moque complètement. Quoi de mieux alors ? D’abord, le rythme du film, moins faussement délirant, plus en accord avec le récit qui se suit agréablement ; ça reste du bout-à-bout de vignettes comiques, mais c’est moins paresseux que d’habitude. Ensuite, la photographie est plus soignée : les reconstitutions des séquences du XIIe siècle qui ouvrent le film sont presque belles quand elles ne sont pas « bouffées » par les ciels France Télécom. Enfin (et surtout), l’Amérique était la terre rêvée pour imaginer le plus grand nombre de situations cocasses à partir de la confrontation Moyen Age-présent. Super société de consommation souillée à coeur joie par Clavier ; pays de la liberté où le même réclamera à son maître la fin de sa servitude. Une bouffonnerie un peu travaillée pour une fois.