Premier long métrage de Jean-Luc Gaget, J’ai tué Clémence Acéra est une étrange entreprise de déréalisation, un no man’s land fictionnel dans lequel chaque élément auquel le spectateur pourrait se raccrocher est aussitôt contredit par le film lui-même. Alors même qu’on croit avoir enfin attrapé un fil, il se dérobe et nous glisse entre les doigts. Plusieurs pistes sont ainsi abandonnées avant d’être reprises puis de nouveau abandonnées. Pour autant, il ne s’agit pas d’une superposition de plusieurs niveaux de réalité, comme chez Lynch par exemple (même s’il y a bien une tentative de cet ordre-là vers la fin), mais simplement d’un scénario confus, sans queue ni tête et mal fichu. Soit Paul, un journaliste hippique qui part à la recherche de sa femme disparue (la Clémence Acéra du titre). Il questionne ses voisins, fait la rencontre de personnages tous plus ou moins loufoques et se fait suivre par un mystérieux couple de flics.
J’ai tué Clémence Acéra est un polar mais il n’y a pas de cadavre, une histoire d’amour mais il n’y a pas de sexe, un film qui passe par tous les états du corps mais dans lequel le corps est nié, en tant que preuve de l’existence de l’autre et objet de désir. Une scène du début, véritable lapsus, dit cela très bien : dans un bar, Woland demande à Paul de se déshabiller, juste pour voir s’il possède des signes particuliers, comme si le corps était un objet de reconnaissance, un simple signe parmi les signes. Conséquence de ce traitement, les acteurs -isolés du reste du monde et notamment des autres corps, exclus du champ par une mise en scène castratrice- ont tous l’air engoncés dans la caricature physique, réduits à leur plus simple expression : grand, petit, avec (ou sans) moustaches, etc. Seule l’excellente Catherine Mouchet, grâce à son sens de l’humour, s’en sort à peu près bien. C’est d’ailleurs une des rares bonnes idées du film que de lui avoir donné ce rôle de commissaire de police, mi-perverse mi-maternelle, loin des fliquettes meneuses d’hommes et frigides, genre Julie Lescaut, qui hantent notre petit écran.
A la fois comédie de moeurs, galerie de portraits iconoclastes et polar lorgnant vers le fantastique, J’ai tué Clémence Acéra tente de créer un univers où l’absurde régnerait en maître. Malheureusement, il ne suffit pas de brouiller les pistes pour faire naître l’étrange et l’on regrettera que la mise en scène de Jean-Luc Gaget ne soit pas à la hauteur des ambitions de son scénario.