Difficile de croire que derrière Ma 6-T va crack-er et ce De l’amour se cache le même réalisateur. D’un côté, le plus beau pamphlet filmique de ces dernières années, ou quand les banlieues version dure déclarent la guérilla urbaine aux flics sur fond de samples militants et de montage eisensteinien. De l’autre, une romance contemporaine très politiquement correcte où notre Virginie nationale joue à l’ouvrière avant de se faire violer par un vicelard de keuf (Jean-François Stévenin, promu leader des seconds couteaux odieux depuis son rôle dans Le Pacte des loups). Alors, qu’est-il arrivé à Jean-François Richet, comment a-t-il pu mettre autant d’eau dans son vin ? Car ce n’est pas le sujet qui gêne ici, mais plutôt son absence de point de vue, son côté lisse et sans aspérités, dans le fond comme dans la forme. Désormais, selon Richet (vraiment ?), les pires ordures connaissent une rédemption finale, le travail en usine s’effectue bien sagement, les cailleras honnêtes traquent les dealers d’héro, et il fait finalement bon vivre en pavillon de banlieue, surtout lorsqu’on écoute Radio Nostalgie et que l’humeur rosissante d’un lever de soleil vous embellit la journée mieux qu’un grand bol de Ricoré. Bref, une sorte de Ledoyen’s power semble se répandre sur la pellicule comme une sale gangrène publicitaire.
On comprend que le cinéaste ait cherché à s’émanciper du carcan « film coup de poing / film de lutte » (un créneau d’ailleurs trop rarement pris d’assaut par le cinéma en général), sans accepter toutefois cette impression de renoncement qui traverse tout De l’amour. Abandon des idées, des images fortes, et surtout d’un discours abrasif, voire « rentre-dedans », qui conféraient à ses deux précédentes fictions une puissance inouïe et parfois maladroite (Etat des lieux, son filmage et ses dialogues je-m’en-foutistes), dont l’audace tenait à un assemblage quasi expérimental de sons, figures et raccords hurlant l’appel à la révolution.
Dans une séquence clé du film, Stévenin observe Ledoyen à poil (avant de l’abuser) par le trou d’une serrure et amuse son collègue : « Tu sais ce qui manque ? Ma bite dans son cul. » Effectivement, c’est ce qui fait défaut à De l’amour : la bite du flic immonde dans le cul de la gentille prolétaire, plan traumatique qui donnerait tout son sens au projet, image crue et insupportable que chacun (protagonistes, spectateurs, cinéaste) tenterait d’évacuer et autour de laquelle, du coup, l’ensemble du film pourrait s’articuler. L’espèce de paradis artificiel créé par Richet trouverait enfin son sens : celui d’un leurre masquant un terrible pandémonium. Mais ce chaînon manquant manquera à tout jamais, laissant le cinéaste à sa vision d’un enfer aseptisé, impossible à prendre au sérieux.