Crime de village, c’est huit tableaux composés par petites touches de couleur vive dont la dominante est le cynisme. La trame narrative de ces nouvelles pourrait rappeler celles de Flaubert ou de Maupassant. Anticléricalisme, peinture des paysans, règlements de compte, crimes et adultères n’offrent rien de nouveau.
Tout l’attrait de cet ouvrage se trouve dans la manière qu’a Jules Renard de créer une ambiance, de planter un décor. Qu’il s’agisse de cette campagne vivante et mystérieuse présente dans chaque texte ou de ce qui se cache en l’homme de pulsionnel et de sauvage, c’est toujours la nature que l’auteur tente de saisir sur le vif. En proie aux démons du style, il s’acharne de façon presque maniaque à donner à ses descriptions une impression de globalité du regard. Cherchant avec minutie « le mot juste » qui évincerait tous les autres, il sait magistralement éviter le double écueil de lenteur et de lourdeur inhérent aux passages descriptifs. « On regarde un paysage, écrit-il dans son Journal, on ne l’énumère pas (…) il n’y faut pas plus de deux ou trois mots. Je les cherche et je les trouverai. » Sous sa plume, la Nature, toujours en mouvement, semble prendre vie et « toute la campagne éclate comme une peinture fraîche avec des horizons d’odeur ».
Loin de freiner l’action, ces descriptions lourdes de sens renvoient toujours aux personnages l’image de ce qu’ils sont en train de vivre. Accompagnés, bénis même par cette nature, c’est dans les bois ou dans les foins que les amants viennent assouvir les besoins impétueux de leur chair, tandis que les bécasses accomplissent une danse nuptiale dans le ciel.
Mus par la nature comme des pantins, les personnages font viscéralement corps avec elle et c’est dans cette bestialité que l’écrivain aime à les peindre. Lorsqu’on s’appelle « renard », on sait plus que quiconque à quel point l’homme et la bête se ressemblent. Encore une fois, il se fait « chasseur d’images » et sait relever le détail visuel qui fera l’économie d’une longue et fastidieuse analyse psychologique. Si Héboutioux l’aubergiste accepte d’être cocu, c’est pour faire marcher son commerce ; mais Jules Renard relève, avec un brin de cruauté, la couleur de bile de son teint, ses regards mauvais et ses sourires grimaçants. Si Justine ne sait pas encore qu’elle va commettre l’adultère, il met en lumière sa gorge gonflée et son visage rouge à l’approche du futur amant. Rien ne lui échappe et chaque description fait sens. Rien d’étonnant donc que, pour la sensibilité du jeune poète qu’est Jules Renard à cette époque, les êtres inanimés eux-mêmes s’humanisent au point de frôler parfois le fantastique. Les « herbes d’eau » rappellent la chevelure des noyés et les prunelles des perles de collier brisé. Tout autour des personnages rongés par le vice et s’adonnant à toutes les bassesses, la campagne, les maisons et les vieux meubles semblent prononcer la sentence. Et à la fin de la nouvelle éponyme, alors que les humains se sont mis d’accord sans plus de remords pour camoufler le meurtre, la porte se referme sur le crime avec « un de ces bruits étranges (…) semblables à des plaintes humaines ».