Comme La Chambre du fils de Nanni Moretti dont il partage presque le même titre, In the Bedroom traite d’un sujet grave et délicat : l’impossible deuil de deux parents après la mort de leur enfant. Si l’exercice de comparaison n’est pas sans raison, surtout quand il oppose deux films qui semblent absolument dissemblables, il permet pourtant ici de revenir sur la « vieille lune » théorico-esthétique selon laquelle il y aurait deux sensibilités au cinéma : l’européenne et l’américaine. « Vieille question aux termes indécis » disent les uns, qui baillent d’ennui et s’en foutent comme de leur dernier Griffith en DVD. « Question passionnante même si mal posée » protestent les autres, qui y voient un moyen de réfléchir sur la forme du cinéma, plus précisément sur l’ancrage culturel et politique d’un film. Autrefois, il y avait un mot pour résumer cela : l’idéologie. Malgré beaucoup de bonne volonté, In the Bedroom est un drame psychologique plein d’une idéologie étroite, généreux ni dans sa forme, ni dans son fond : c’est ce qu’on appelle parfois la « manière américaine ». A juste titre, on l’oppose à la façon européenne. Ca veut dire quoi au juste ? Que les Américains ne sauront jamais faire La Maman et la putain. Que nous ne puissions faire La Guerre des étoiles ne dérange que Luc Besson.
Revenons à notre sujet : si, l’année dernière, le film de Moretti emporta l’adhésion de la critique, du public et du jury de Cannes qui lui décerna sa Palme d’or, c’était par sa capacité à dégager son sujet du balisage médiatique où il pouvait trop facilement entrer. La manière Moretti montrait avec beaucoup de simplicité la perte de l’être cher, l’absence qui séparait les survivants, le repli de chacun dans la relation égoïste au disparu. C’était beau, jamais appuyé. Quant à la résolution de cette douleur familiale, le final qui montrait les parents ramener chez elle la fiancée de leur fils disparu, elle enchantait carrément parce que c’était une solution de pure fiction, un rêve éveillé, ce qu’on aimerait vivre chacun une fois. A l’inverse, ce qui fait la platitude de In the Bedroom, c’est son manque d’invention.
Une fois la mort du fils survenue, après une période d’exposition qui illustrait -barbecue et balançoire- le bonheur d’être en famille -une petite famille à trois dans une maison du Maine- le film entre de plain pied dans la catégorie « film à débat ». Le thème de ce soir : « Comment survivre à la perte d’un enfant ? » ou bien « La vengeance personnelle permet-elle oublier ? ». Si, à plusieurs reprises, le cinéaste s’essaie à la posture gratifiante d’auteur, notamment dans une succession très « plaquée » de fragments de vie montrant le cours inchangé de l’existence après le drame, le naturel revient vite au galop. Très vite, on parle procès. Très vite, il apparaît que le responsable de la mort du fils risque une peine courte par manque de preuves pour le charger. Bientôt, juste après le climax psychologique au cours duquel chaque parent renvoie violemment à l’autre sa responsabilité -le père trop mou, la mère trop froide- la solution se profile : faire vengeance soi-même. La gravité du propos se dissout alors dans le rocambolesque sordide. La psychologie des personnages se réduit à une assignation à penser pour le spectateur-citoyen : qu’aurais-je fait à sa place ? La pire question qu’on se pose dans une salle obscure. Celle qui prend le cinéma pour un journal télé.