Henri Calet est mort en 1956. De La Belle Lurette jusqu’à Peau d’ours (publié à titre posthume), en passant par Les Murs de Fresnes et Le Tout sur le tout, il a bâti une oeuvre magnifique mais demeurée, il est vrai, relativement confidentielle. Du reste, dans les dernières années de sa vie, Calet a parfaitement conscience qu’il est en passe de tomber dans l’oubli : « Je me sens de plus en plus déplacé dans cette époque », écrit-il dans son carnet. Il erre dans Paris, promène son fils, croise ses maîtresses, désespère de ses semelles de plus en plus minces, de ses poches atrocement vides. A sa mort, on parle déjà de « purgatoire »… Depuis le début des années quatre-vingt, c’est toutefois à une sorte de résurrection que l’on assiste. L’œuvre refait surface. Aujourd’hui paraît un recueil de chroniques, De ma lucarne, dans la collection « Les inédits de Doucet » (Gallimard).
L’après-guerre est une période fertile pour Calet. Il publie beaucoup. Parallèlement, il est journaliste dans la presse écrite. Il publie dans des quotidiens ou des hebdomadaires importants, tels que Combat, Franc-tireur, Terre des hommes, Le Figaro littéraire. Dans De ma lucarne, on découvre un journaliste fort curieux, à tous les sens du terme : d’une curiosité très belle mais d’un professionnalisme fantasque et très personnel… Il était avant tout écrivain et ses chroniques, quoique destinées à la presse, n’en sont pas moins de magnifiques textes littéraires. L’espace journalistique était pour Calet un endroit de plus où poursuivre son oeuvre, où faire entendre sa voix d’auteur. Il ne s’agit donc pas d’articles, mais bien de chroniques. Pour preuve : lorsqu’il évoque le double référendum de 45, c’est pour glisser aussitôt vers le souvenir d’une tante qui faisait tourner les tables, l’école communale, bref son passé. Exit l’actualité. « C’est une nouvelle manie : je tâche de ramasser mon passé par petits morceaux ; il en traîne un peu partout. Comme si l’on pouvait exister deux fois de suite… »(La Terre natale)
Le sujet principal de ces chroniques est Paris (où il a toujours vécu), le petit Paris et ses « économiquement faibles » dont il se sent toujours proche. D’où cette première personne du pluriel qu’il emploie sans cesse. Et d’évoquer le jour du vote qui suspend le temps et permet de sortir du traintrain ; la curiosité déplacée de tout un chacun lorsque survient une catastrophe, tel l’incendie d’une fabrique de romans roses -il fallait le faire- dans Braves pompiers : « Il y a sûrement en nous un fonds ancestral de pyrolâtrie, de néronisme même. Nous aimons à voir flamber les maisons et les villes. (…) N’exagérons rien ; ce n’était pas la ville entière qui brûlait. Une modeste fabrique, tout au plus. Il ne faut pas demander l’impossible. » Et quand il s’agit de narrer un cocktail mondain, il est persuadé d’y avoir été invité par erreur puisqu’on le confond souvent avec Henri Calef.
Calet est aussi un faux touriste. Il aime à se glisser incognito dans des groupes. Il visite, se fait passer pour je ne sais quel Belge en voyage. Ce qui le met parfois dans des situations curieuses. Il doit se faire raccompagner au Lutétia… et regagner son cher 14e à pied. Et, en vrai parisien, ici et là, il relève des inscriptions incongrues et belles : « LAPINS VIVANTS, ON TUE SUR COMMANDE » (« Débaptême et baptême »). Il fouine et, s’écartant des lieux communs ou trop connus, va dénicher les petits musées inconnus, tel le musée postal de la France où il retrouve un bambin, venu là on ne sait trop pourquoi, sinon pour visiter un lieu qui n’est pas vraiment de son âge…
Henri Calet était un être libre. Qui a écrit pour des revues ennemies. Qui ne s’est jamais soumis aux diktats de l’actualité, préférant les sentiers poétiques de ses déambulations parisiennes. Qui l’a payé, très certainement. Quoi qu’il en soit, La Belle Lurette et Le Tout sur le tout prouvent bien qu’il est l’auteur d’une des œuvres autobiographiques les plus importantes du XXe siècle. De ma lucarne prouve, en outre, qu’il invente une forme de journalisme. Un journalisme juché de plain-pied en littérature.