L’oeuvre de James Graham Ballard a subi une profonde remise en question lorsque, dès les années 80s, l’auteur a semblé abandonner progressivement l’univers froid de la new-wave science fictionnesque qu’il avait explorée pendant près de vingt ans. Dès lors, on assiste à un étrange ballet littéraire, où l’anecdotique (Le Massacre de Pangbourne) se mêle à la biographie romancée (L’Empire du soleil, porté à l’écran par Spielberg). Celui qui, quelques années plus tôt, avait signé des chefs-d’œuvre toutes catégories du texte contemporain, se retrouvait ainsi presque momifié dans une littérature à papa, bien exécutée mais ennuyeuse de bout en bout (La Bonté des femmes).
Avec Cocaïne nights, sorti en anglais il y a déjà deux ans, l’auteur renouait avec ses premières amours, réinjectant ce cocktail sulfureux mais discret de sexualité modifiée dans sa prose toujours très classique. Super-Cannes s’inscrit ainsi dans la droite lignée d’I.G.H., heureux retour aux sources qui n’implique pas pourtant un total abandon de la notion d’évolution. Le théâtre des opérations du roman de Ballard (Super Cannes est le quartier riche des hauteurs de Cannes) contient toutes les potentialités nécessaires à ses personnages pour aller au-delà de l’humain, pour renouer inéluctablement avec la machine. Mais les temps changent. A la fusion de la (nouvelle) chair et du métal vient se substituer d’autres désirs, toujours biologiques et mutatoires. Super-Cannes marque ainsi l’incursion centrale de la génétique sexuelle dans la géographie interne du texte et place d’emblée le roman dans la prospective.
Et resurgissent à chaque coin de page les vieux démons de l’auteur : l’altération corporelle et les désirs moites (« Debout entre mes genoux balafrés ; Jane posait les mains sur mes épaules, les odeurs d’oestrogène et de gel de douche se disputant mon attention »), les grandes figures du chaos du XXe siècle (« Tu me rappelles Adolf Hitler ») et la fusion du divin et de l’humain (le locus nommé Eden-Olympia). Le roman hésite ainsi longtemps entre l’intrigue policière et la description macroscopique du drame du couple formé par Jane et son mari, singularités biologiques égarées dans les béances de l’organisation occulte d’Eden Olympia. On s’étonne d’ailleurs presque de ne pas voir surgir aux coins des rues cannoises un Victor Ward en pleine descente. Et si le style de Ballard, toujours très « classique », noue quelques-unes de ses affinités avec le minimalisme froid qu’a systématisé Ellis, c’est surtout au niveau de l’atmosphère que le parallèle entre Super-Cannes et Glamorama devient pertinent : même sentiment de vide anti-existentialiste, même paranoïa galopante. Ballard s’affirme à nouveau comme grand styliste et théoricien habile de nos devenirs-homme.