Il faut espérer que le film de Nabil Ayouch ne passera pas inaperçu, que le public saura trouver la curiosité et le désir d’aller le voir. Les réticences habituelles pour le « petit film », l’objet obscur et seul, priveraient d’une œuvre sincère et modeste, d’une grande force aussi. Ali Zaoua est un film âpre sur l’enfance, une chronique des quartiers miséreux de Casablanca, lieux jamais vus, saisis ici dans un souci constant de vérité documentaire, décor tragique d’une histoire à la fois banale et extraordinaire que le réalisateur nous raconte avec de la finesse -souvent- de la poésie -toujours- surtout avec une empathie réelle avec ses personnages. En effet, tous les acteurs-enfants, que le réalisateur a recrutés sur place, sont utilisés avec intelligence, incarnant des personnages au sens fort c’est-à-dire des corps qui incarnent une histoire. Le regard porté sur eux exclut toujours le pathos pour privilégier une frontalité assez brute qui leur laisse une chance d’exister -la part du rêve- mais délimite aussi pour eux un espace sans concession : le sort misérable et cruel qui leur est promis.
Le film d’Ayouch commence par une mort aussi brutale qu’initiatrice pour les jeunes héros qui y sont confrontés. En effet, ce deuil, qu’ils vont devoir faire sans connaître le « mot » qui dit la chose, ni même le sentiment « normal » qui devrait accompagner le décès de leur ami -mais qu’est-ce qui est normal dans le monde où ils vivent ?- sera le chemin que chacun devra accomplir pour être en paix avec lui-même et ne pas avoir le sentiment d’avoir trahi une amitié disparue. Ce qui fait la force du film, c’est justement de ne pas chercher à donner une image du groupe d’enfants endeuillés soudés naturellement par la mort d’Ali Zaoua. Le film montre avec précision et beaucoup d’élégance comment chaque enfant, avec sa force et sa faiblesse, cherche à construire son propre rapport à la disparition de l’ami, rapport bricolé qui sait jouer des contraintes du réel -la meute agressive qui a tué, la méfiance de la mère- pour arriver à ses fins.
Ce qui est juste dans le film, c’est que le courage -par exemple pour trouver l’argent autorisant de dignes funérailles pour Ali- n’est jamais l’attribut du même enfant mais passe de l’un à l’autre, en fonction des fatigues -très joliment montrées- ou des colères. C’est que l’enfance, dans le film, n’est pas un programme, ou le prétexte à des émotions -le ton est assez sec- mais le moyen de montrer des caractères mobiles et aléatoires, toujours imprévisibles, capables du pire -le petit enfant abandonné au sort d’un grand qui le viole- et du meilleur -l’aveu embarrassé à la mère pour dire la mort de son fils. Alors, oui, peut-être, il y a une magie de l’enfance.