Un siècle nous sépare de l’exposition Rodin au Pavillon de l’Alma en 1900. Pourtant, on pourrait affirmer que presque rien n’a été modifié. Le lieu bien sûr : nous sommes au musée du Luxembourg et non place de l’Alma. Qu’importe puisque plus de 120 sculptures, 60 dessins et 70 photographies y sont réunis grâce aux commissaires de l’exposition, Antoinette Romain et Claudie Judrin (conservateurs en chef au musée Rodin), Hélène Petit (chargée de la collection de photographies du musée Rodin ainsi qu’à la Réunion des Musées Nationaux, RMN). Cette rétrospective où la limpidité du parcours, où lumière et clarté (artificielles contrairement à 1900) sont de mise, se veut être le sosie de la première, un jumeau centenaire.
« Blanches » serait l’adjectif qui qualifierait le mieux les salles où ont été installées les œuvres du sculpteur. Plus qu’une élémentaire galerie, il s’agit d’un véritable atelier où l’on retrouve, dans l’état d’inachèvement voulu par le sculpteur, plâtres et bronzes fixés sur des gaines ou des colonnes. L’occasion d’apprendre que Rodin avait trouvé ainsi une alternative à la question problématique du socle.
Visiteurs amateurs et professionnels y côtoient des couples étroitement et passionnément enlacés (fugit amor, avant 1895), les courbes sensuelles et lascives des différents nus féminins qui jalonnent les salles, ou les courbes provocantes d’Iris (1895), cuisses ouvertes, qui semble s’offrir au regard du premier venu, comme Rodin qui pensait donner au public une part de lui-même et de sa créativité en construisant ce pavillon en marge de l’exposition universelle.
Pas de superflu ni de fioritures : de simples numéros posés devant chaque œuvre (le visiteur pourra y trouver pour chacune les informations nécessaires). Plus qu’un simple aspect ludique, il s’agit d’un véritable souci d’honnêteté de la part des organisateurs. Une fidélité qu’on retrouve dans l’emplacement exact des photographies du pavillon et des œuvres qu’Eugène Druet avait réalisées. Des dessins de corps féminins, des esquisses à la mine de plomb, et des aquarelles complètent l’ensemble. On y retrouve les formes et les poses expressives données à l’être qui a le plus inspiré le maître : la femme. Des mains se crispent dans une angoisse déchirante (série d’épreuves photographiques, entre 1896 et 1900), le geste reste en suspens pour L’Homme qui marche (1900), des corps étendus s’étirent en mouvements harmonieux (L’Enfant prodigue, 1886 et La Chute d’Icare, avant 1900) ou cassés (La Terre, 1896) mais toujours gracieux, emprunts de vie et d’humanité.
Ce que le musée Rodin et la RMN réalisent aujourd’hui se rapproche de la rétrospective qui prend place au musée Carnavalet sur l’école américaine présente à l’exposition universelle de 1900. Malgré l’inspiration européenne, le visiteur peut noter au travers des peintures, la volonté d’indépendance de cette jeune école qui veut imposer son modèle, ses paysages. On y retrouve les chefs de file comme Whistler ou Eakins et dans un tout autre domaine, bel et bien made in America cette fois, le joaillier Tiffany.