A l’instar de Patrick Rambaud ou d’Angelo Rinaldi, il est de bon ton d’ironiser au sujet de la vieille dame aux cols roulés. Les ricanements et l’embolie psychiatrique de la fin ne doivent pas pour autant faire oublier le gigantesque apport de l’auteur de La Douleur au roman, au théâtre et, peut-être plus encore, au septième art. Histoire de remettre les pendules à l’heure, Dominique Noguez s’est donc lancé dans l’aventure de ce livre curieux, Duras, Marguerite, juxtaposition d’un « précis d’analyse durassienne » et d’un florilège d’extraits de son journal intime, où il est question de Maguy, son amie. Malgré son côté « Profil littéraire » pour khâgneux (les hyperboles « échangent leurs valences, se contredisent et se renforcent dans la même phrase et forment donc des oxymores », notez ça dans vos cahiers !), la première partie du livre recense avec sérieux tous les gimmicks de l’écrivain, que l’auteur dissèque avec force illustrations dans le texte, soulignant leur intérêt, leur force, voire leurs paradoxes. Il nous initie alors à la parataxe chez Mme Duras, à l’usage du superlatif ou de l’énumération, au passage de l’indéfini vers le défini (et inversement), ou au leitmotiv de répétition (une « rime intérieure, un refrain »). Certains développements surprennent par leur finesse (le parallèle avec Péguy) et par leur justesse (l’humour comme « gai désespoir »). Mais l’analyste, spécialiste du cinéma expérimental, se montre d’une plus grande pertinence encore lorsqu’il établit des correspondances entre l’œuvre écrite de Duras et son œuvre filmique (ah, India song…). Tout devient limpide, tant sur l’espace-temps, « l’effet de présent », que sur le rapport du son au sens, ou la focalisation -Duras, en fin de compte, n’est-elle pas l’écrivain du zoom et du faux raccord ? Seul léger bémol, le spécialiste aurait peut-être dû davantage creuser le parallèle entre scénographie théâtrale et profondeur de champ, remarque il est vrai anecdotique, au vu de la grande précision des travaux.
Malheureusement, le journal qui suit, sorte de « Voici » rétroactif plutôt chic, ne possède pas de réel intérêt, faisant ainsi place au Dominique Noguez qu’on aime déjà beaucoup moins. Et à l’analyse rigoureuse du début succède un exercice proche des mémoires de Jean-Claude Brialy -bien qu’il échappe, malgré tout, au délire de la fascination autobiographique. Mauvais esprit oblige, on avouera avoir ri à quelques pics, à l’instar de cette hitchckockisation de l’amant du stade terminal, Yann Andréa, « presque devenu comme le personnage de Psychose avec sa mère. Il parle en elle, elle parle en lui. » A ce titre, reconnaissons au moins à Noguez le mérite de nous avoir épargné l’hommage « à la manière de » (cf. la biographie de Laure Adler, ou Yann Andréa, évidemment). Histoire, peut-être, de ne pas mélanger le (petit) maître. Et Marguerite.