Le premier film d’Emilie Deleuze est à l’image de sa première séquence : original mais improbable. Dans une rame de métro, un jeune homme interpelle les passagers sur un ton inhabituel : « Je voudrais vous remercier d’être là » leur dit-il en substance. Après un moment de surprise, les interpellés se dérident finalement et écoutent avec attention le curieux personnage. L’homme enchaîne alors avec des slogans des plus imprévus : « Vive le travail, à bas le travail, vive l’argent, à bas l’argent », repris bientôt par tous. La séquence s’achève par un surprenant gospel auquel participe le chœur des usagers, accompagnant la sortie de l’homme qui les salue depuis le quai.
A l’image de cette ouverture gonflée donc, Peau neuve surprend beaucoup par son ton, mais déconcerte aussi. Et décourage parfois. L’objet manque de contours et de précision, et si un élan inspiré s’y ressent incontestablement, c’est le manque d’aboutissement du projet qui l’emporte à la fin. Certes, quand la scène décrite plus haut s’avère être un rêve précédant le réveil douloureux d’Alain, jeune père et jeune époux soumis aux tâches quotidiennes d’une vie « sans histoire », on comprend vite les visées de la cinéaste : suivre au plus près le cheminement intérieur d’un homme « intégré », que le credo toujours en vigueur du « métro, boulot, dodo » ne contente plus et qui entreprend sa sortie de la norme sociale en rêvant et en fantasmant un ailleurs possible. Il s’agit un peu de répondre à la question : « Comment s’en sortir ? », mais en inversant les termes de la question sociale. Alain veut fuir un bonheur confortable qui le déprime. Notons ici les qualités de présence et d’interprétation de Samuel Le Bihan. Nouveau visage et nouveau corps aussi, il accompagne les états d’âme de son personnage avec beaucoup de finesse, sans forcer, posant son regard un peu lassé sur les choses, aux aguets d’un « neuf » qui tarde à venir.
L’une des intelligences d’Emilie Deleuze est de déjouer les pièges de l’alternative trop souvent posée par les scénarios des fictions sociales récentes : soit le conte idéalisant la réalité et masquant sa dimension didactique par une forme légère (Marius et Jeannette) ; soit la fiction pédagogique qui met en intrigue quelques vérités sociologiques bien frappées, en lestant l’ensemble d’enjeux psychologiques censés donner le change (le dernier Guédiguian ou La Vie rêvée des anges). Peau neuve parle d’aujourd’hui en ne choisissant aucune de ces deux voies. Le film s’offre plutôt comme une hypothèse, une abstraction qui s’éclaircit à mesure que le film avance, à mesure que s’affine le devenir d’Alain. Pour « en » sortir, celui-ci choisit de quitter son confort et d’apprendre à conduire des engins de chantier. Lors de cette expérience, il fait la rencontre d’un homme, Manu, archétype du déclassé, depuis longtemps lâché par la société et qui figure bientôt le salut d’Alain. Ce Manu, c’est pour Alain, la possible saisie du réel, une vie enfin conforme à ses désirs ; mais avec ce personnage, Peau neuve devient soudain moins intéressant et plus lourd. Le film fonctionne moins à vue, calcule trop ses effets. On y sent les intentions, rarement transformées. La fin déçoit, comme si le scénario n’avait trouvé d’issue à l’insolite aventure d’Alain.