« Où était Ca, Je dois devenir », écrivait Freud pour caractériser les objectifs d’une bonne psychanalyse, sans cependant aller jusqu’à prévoir l’hypothèse d’un surgissement massif et inopiné du Surmoi d’un quidam qui n’en demandait pas tant. C’est pourtant ce qui arrive au personnage du texte inaugural de ce second recueil de nouvelles de Tonino Benacquista (le premier s’appelait La Machine à broyer les petites filles), un fidèle du concours Lépine qui, après un accident de voiture, passe quelque temps dans un coma du genre bavard. « Un coma plutôt léger où le patient s’exprime et réagit. Il ressasse des phrases incompréhensibles, un flot de paroles d’une densité incroyable pendant des heures et des heures. Un délire organisé que personne d’autre que lui ne peut comprendre, et la plupart du temps il n’en comprend pas la moitié lui-même », nous explique-t-on. D’un mot, c’est son inconscient en bloc qui s’autorise une petite virée à la surface, offrant la possibilité de faire en une demi-journée, pour autant qu’une bonne âme tende l’oreille (c’est bien sûr le cas), ce que d’autres peinent à faire après dix ans d’analyse. Et voilà notre inventeur amateur encombré d’un petit carnet calligraphié où s’alignent en rangs serrés tous ses secrets enfouis, fantasmes ignorés, détails passés et autres vérités occultées.
C’est ce genre de bonnes idées que génère au kilomètre l’imaginaire fécond de Benacquista, fils d’émigrés italiens au parcours farfelu (des études de cinéma vite interrompues au profit d’une enfilade de travaux disparates -serveur de pizzas, accompagnateur de nuit aux wagons-lits, accrocheur de tableaux dans une galerie d’art contemporain, fantôme glouton pour cocktails mondains) qui, à l’image d’un Daeninckx, a trempé ses premières plumes dans l’encre du roman noir (La Madone des sleepings, Les Morsures de l’aube…) avant d’investir la collection blanche avec le succès que l’on connaît (Saga). Tout à l’ego compile, sous l’un de ces titres-calembours qui font sa signature, une dizaine de nouvelles initialement parues dans une flopée de volumes et revues (de Jazzman au Nouvel Economiste) et réunies comme autant de variations douces-amères autour des mécanismes d’une normalité soudainement détraquée par un boulon non conforme, qu’il soit d’ordre psychanalytique, sexuel ou technologique. En l’occurrence, un magnétoscope familial bloqué sur une cassette pornographique clandestine et vingt-cinq ans de bonheur conjugal accrochés à une bobine défectueuse, ressort classique dont Benacquista tire le meilleur. Rythmés, piquants, légers, ces textes d’une douceur cruelle révèlent le sens de l’observation et, surtout, le talent de conteur d’un écrivain mystificateur capable de faire croire à l’invraisemblable, ingrédient d’ailleurs surabondant dans son étonnante production. Mineure sans doute, inégale à coup sûr, mais décidément succulente.