Vladislav Delay fut la grande découverte electronica de l’année 2000 avec les sorties de ses disques sous pseudo Uusitalo et Luomo.Mais si le Finlandais avait su, malgré une étonnante productivité (quatre album et de nombreux maxis en un an !), tenir notre excitation et notre intérêt indemnes en démultipliant sa façon si étrange de faire de la musique en touchant à divers genres (electronica, dub, glitch pour ses deux albums sous son nom et, techno, voire house garage linéaire pour le reste), il commence un peu à tourner en rond. Troisième album signé sous le nom de Vladislav Delay, Anima constitue en effet une cuisante déception : aucune surprise, son très propre, longueur absconse (on savait Delay adepte des longs morceaux, mais il n’y a ici qu’une longue plage de soixante-deux minutes !), le Finlandais semble se perdre.
Sa progression laissait pourtant présager de belles possibilités pour ce nouveau disque, le deuxième pour le compte de Mille Plateaux : Delay a emmené ses nappes rêveuses et ses sons fracturés dans tous les territoires, du minimalisme glacé d’Entain aux rythmes enfumés de Vocal city ou Vapaa Muurari. Pourtant, il se contente ici de reprendre les choses là où il les avait laissées avec Entain, qui était déjà probablement son disque le plus ennuyeux. Des nappes dubby caractéristiques (allègrement pompées par Mark Nelson dans le deuxième album de Pan American) servent de trame et de fond à une longue heure d’événements sonores plutôt enchaînés qu’organisés, et qui semblent n’aller nulle part, exister par et pour eux-mêmes. Alors que par le passé les nappes s’interpénétraient les unes les autres et faisaient émulsionner leurs matières et leurs textures à la rencontre d’infrabasses sales et de microbruits et autres glougloutages intempestifs crados, ici, les nappes et les sons cristallins (voix, raclements, râlements de matières noyés dans un océan de réverb) ne semblent jamais se rencontrer, mais tout juste s’illustrer et se soutenir musicalement. L’échafaudage de sons est impressionnant, sans fin, s’étale à perte de vue (horizontalement ou verticalement, peu importe en fait), mais ne suscite jamais aucun mouvement musical, montée ou descente de tension, aucune émotion musicale en quelque sorte. On se demande à quoi sert cet assemblage virtuose mais sans relief. Les rythmes sont tous réduits à de faux départs et hoquettent systématiquement, comme si Delay s’était fixé pour mission de revenir à une musique plus sévère pour se conformer à l’esthétique avant-gardiste du label. Mais la façon avec laquelle il déconstruit les rythmes est plus maladroite qu’autre chose, gratuite et sans plus de propos que la trame musicale que ces derniers sont supposés soutenir.
Il paraît que la matière musicale de ce disque résolument raté provient de cinq improvisations en temps réel : un semblant de réponse nous est donc fourni quant au pourquoi d’une telle impression de vacuité artistique : Delay s’écoute, s’amuse, se laisse pénétrer par sa propre musique. Mais il est tout seul : ce n’est pas parce qu’une musique est agréable à faire qu’elle est agréable à écouter.