On ne ressort pas indemne de l’exposition de Yayoi Kusama, artiste japonaise âgée de 70 ans, internée à sa propre demande dans un hôpital psychiatrique de Tokyo où elle dispose depuis 1977 d’un atelier et d’assistants. Elle s’est toujours mise en scène dans son travail -de ses happenings féministes des années 70 à ses installations, figurant parmi ses objets et allant jusqu’à créer des vêtements pour se fondre dans le décor. Son travail reproduit ses obsessions liées à des visions hallucinatoires de points lumineux et colorés distribués aléatoirement dans un espace clos. Elle les voit partout : sur ses impressionnantes sculptures en forme de protubérances ou de prothèses, ou bien dans la chambre meublée d’un appartement. Cet aspect symptomatique de son travail nous introduit à l’intérieur de son propre corps ou de son « environnement » psychiatrique, transposé en un lieu, dans lequel, au-delà de l’apparence décorative, se recoupent des espaces mentaux à la fois extérieurs et humoraux, et intérieurs.
L’exposition à la Maison du Japon nous présente ses installations les plus récentes. Elles ont été réalisées entre 2000 et 2001. Depuis les grandes rétrospectives au MoMA de New York en 1998 et à Londres à la Serpentine Gallery en janvier 2000, Kusama ne cesse de creuser les mêmes obsessions. Ici, dix installations, se répondant toutes entre elles, témoignent d’une recherche plastique autour d’un lieu impossible où l’illusion d’un espace infini, créé par des dispositifs de miroirs, nous amène à un rapport schizophrénique à soi. Dans ces jeux avec la perspective, on se trouve devant une infinité de points de vue sur soi-même. C’est le cas avec Fireflies on the water, chambre noire où sont suspendues une centaine d’ampoules multicolores, tapissée de miroirs et, au sol empli d’eau où se reflètent les petites sources lumineuses, conjuguant leurs effets pour abuser le spectateur. Avec Infinity mirrored room – Love for ever, le corps est renvoyé à travers une lucarne, le visage à une image kaléidoscopique, et, à nouveau, on se trouve introduit dans le processus d’un dédoublement de personnalité. Kusama nous fait entrer physiquement dans ses propres visions et ses obsessions.
L’artiste est avant tout dans une expérimentation de soi, dans un rapport intérieur à elle-même, qu’elle projette dans ses installations. Ce sont des dispositifs à la fois médiateurs entre sa folie et nous -comme ont pu l’être certains textes d’un Antonin Artaud- et à la fois des visions improbables d’un lieu, où le temps s’est arrêté pour nous donner une idée de l’Eternité. Derrière ces illusions d’optique, la visibilité des êtres est remise en question, et quelque chose d’invisible, derrière, se dessine. Points colorés et miroirs se font alors écho. Une réflexion métaphysique sur un univers mental commun à tous, mais caché, transfiguré, dans la vie quotidienne.