Rift, routes, rails, soit trois variations sur le motif du déplacement, libre ou contraint, empêché pour ces nomades échoués dans la grande ville ; l’ancrage forcé ou à l’inverse l’exil des hommes chassés par les régimes politiques ou par la faim. Le texte décrit l’état de « migrance », celle du narrateur, celle d’une génération d’écrivains avant lui, comme le Sud-Africain Es’kia Mphahlele, exilé à Paris dès 1945, évoquant au passage le mythe de Paris dans la littérature africaine, cette dualité inhérente à la sensation d’exil ; mythe retravaillé, ici avec la personnification du symbole parisien : « Dame Eiffel » en prostituée désabusée qui se livre à quelques confidences. Ou encore une invitation au voyage, découvrir Djibouti, ce port oublié, « Djibouti encore et toujours », le temps d’une escale, guidé par le narrateur, comme ce couple de touristes, pour se poser cette question, où qu’on soit : « qu’est-ce que je fais ici ? » Est esquissé aussi un certain érotisme du voyage, cette dialectique entre désir et distance. Le texte prend alors l’allure d’un carnet de bord, avec l’emploi de phrases nominales, le croquis d’impressions décrites et partagées quasi simultanément avec l’être aimé, l’absent, un besoin de transmettre, un appétit d’écrire et de vivre : « les cellules du corps, comme les histoires nées de l’esprit, non de s’étioler, se renouvellent à force d’usage. »
Le texte est tour à tour allusif, évocateur, il se dessine par touches légères. Cru, physique, il fait appel aux sens. Ton violent, exacerbé, quand la misère et la faim sont décrites physiquement, quand la difficulté de vivre se noie dans la débauche, un délire de musique, de sexe et d’alcool. Le constat dressé des difficultés successives rencontrées par l’Afrique est sévère, la dénonciation politique amère, et le ton devient parfois pessimiste, illustrant le refus de l’attachement affectif devant la fragilité de la vie. Refus de l’attachement, au sens aussi de la conscience de la vanité humaine ; un rappel salvateur de notre caractère éphémère : « un seul souffle, on le sait, sépare les morts des vivants. » Et malgré tout, « vogue la vie », selon un trajet pas toujours évident : les souvenirs, les sensations, les sentiments jalonnent ce chemin parcouru et à parcourir. La mémoire se réveille à l’écoute d’une musique, des thèmes majeurs sont repris, éclairés par d’autres motifs -un hommage au jazz-, dans la structure même du texte. La mémoire, les souvenirs auxquels le narrateur fait appel pour raconter, pour écrire, ne sont pas des regrets : « il n’y a pas de nostalgie, parce qu’il ne s’agit pas d’oublier. » Mais ils aident à construire le présent et l’avenir. C’est aussi à travers toutes ces péripéties que la personne se constitue. Le texte utilise les métaphores, les comparaisons, les anecdotes, outils d’un décalage du sens. Un sens qu’il faut chercher, une direction, celle de la vie, toujours en avant, toujours périlleuse, toujours surprenante : « on ne choisit pas toujours la route vers laquelle votre cœur vous mènera. »