Rugosité des sons, puissance des souffles, force brute d’un matériau musical pris à bras-le-corps et expulsé du lit serein dans lequel il aurait pu couler : c’est sur un tapis de braises que marchent Griffin et Grossman dans cet échange générationnel bienvenu où il s’avère rapidement que leur manière respective a beaucoup en commun. Duo plus que duel, donc, encore que l’on ressente ici ou là l’euphorie cordiale de la course à bâtons rompus à laquelle cèdent volontiers les deux ténors sur les compositions de chacun (magnifique Take the D train de Grossman) ou sur le terrain neutre des deux standards retenus. Au gré des morceaux s’affirme l’exceptionnelle qualité d’une section rythmique attentive et puissante qui, si le chroniqueur n’y prenait garde, susciterait probablement deux ou trois métaphores automobiles passablement galvaudées ; on n’en soulignera pas moins les remarquables prestations du pianiste Michael Weiss (auteur de l’une des compositions, Power station), qui trouve en Pierre Michelot (contrebasse) et Alvin Queen (batterie) les partenaires idéaux pour soutenir et propulser les échanges brûlants des leaders. Dans la longue tradition des formations à deux ténors, auxquelles l’aîné avait d’ailleurs déjà goûté en compagnie, notamment, d’Eddie Davis, ce quintet fait entendre un hard bop généreux, volubile et vigoureux, où la curiosité de la compétition s’efface immédiatement sous le plaisir du jeu. La rencontre n’aura en outre pas été dénuée d’humour et de bonne humeur si l’on en croit les citations parfois incongrues (à l’exemple, sauf erreur, d’une phrase tout droit venue d’un classique italien bien connu en plein milieu d’un solo dans You’ve never been there !) que l’on repère au fil de écoutes.
A la rudesse et la rondeur rollinsienne, généreuse et enthousiaste, du saxophone de Grossman, Griffin oppose un ton plus nuancé sans jamais cependant s’en laisser conter par ce cadet surdoué : de ces échanges fructueux découlent le plus souvent de saisissantes conclusions de concert où la superposition des deux voix résonne de leur puissance démultipliées. Et si ni l’un ni l’autre ne cherchent à déplacer le dialogue vers des terrains moins codifiés, c’est que ce classicisme post-bop dont tous deux excellent à manier le vocabulaire et à tirer les ressources les plus jubilatoires reste d’une vitalité inaltérée. « Inaltérable », semblent-ils même ajouter tout au long de ce disque vif et roboratif.