Les oeuvres érotiques de Picasso déshabillent actuellement les murs du Jeu de Paume. Plus de 300 œuvres ont été rassemblées pour nos regards… œuvres érotiques, certes, mais œuvres érotiques placées sous le signe de la tendresse et de la pudeur. La majorité de la collection est consacrée à des dessins et des esquisses, mais un certain nombre de sculptures et de toiles est également présent. C’est la première fois qu’une exposition autour de Picasso et de son œuvre dite « érotique » est dévoilée au grand jour. Tyrannie formaliste des années 60 qui voyait en l’artiste uniquement le créateur du carré et des angles ? Peut-être, mais cette inclination a cessé : on aborde à ce jour l’œuvre de Picasso avec moins de tabous et de rigidité ! Les carrés se féminisent, les angles s’érotisent… Œuvres inédites, jusqu’alors cachées ou appartenant à des collectionneurs, à des particuliers ou bien à la famille de l’artiste sont enfin mises à nu.
Etait-ce trop tôt auparavant ? Si c’est le cas, Picasso nous permet encore de dire qu’il aura marqué notre cher xxe siècle de son génie. L’exposition est conçue selon un ordre chronologique dont nous pouvons distinguer trois moments forts, à la manière d’un « triptyque » érotisé se présentant comme une initiation à l’amour sexué. Une première période, autour de 1900 : le temps de la découverte de l’amour et de la sexualité. Picasso compose alors de nombreuses esquisses, carnets et dessins autour du monde clos des maisons de plaisir. Prostituées et amants qu’il croque, prostituées qu’il fréquente dans les bordels de Barcelone ou de Paris. Au détour des nus, l’on découvre le Nu couché (1905), le Nu de dos et de face (1905), les Nus enlacés (1905), Portrait d’une prostituée (1901), esquisses sur papier pour la plupart.
En 1901, Picasso apprend le suicide d’un de ses amis et compagnon de nuits tumultueuses à Barcelone, Carlos Casagemas, et compose L’Enterrement de Casagemas (huile sur toile, 1901). Ce tableau représente la montée au ciel de l’âme de son ami ; une montée quelque peu « érectile » et tout à fait inattendue puisque son âme rencontre de jolies prostituées prêtes à assouvir le moindre de ses désirs… aperçu profane sur fond sacré ! Cette première période d’œuvres érotiques s’achève dans les années 1906-1907, avant la suite d’études pour Les Demoiselles d’Avignon.
Picasso débute alors une nouvelle période, mais les représentations érotiques changent de tonalité. Dans les années 30, Picasso désarticule les corps, la série d’Accouplement de 1933 rappelle de singuliers mobiles flottants… les formes géométriques s’entrechoquent à la manière d’une mécanique. Les Figures au bord de la mer (huiles, 1931 et 1932) laissent entrevoir les formes arrondies et phalliques de corps en pleine étreinte. Cette période recouvre également toute la série des scènes tauromachiques à connotation sexuelle, rapts et étreintes violentes. On peut apercevoir une déclinaison de Minotaures en quête de virilité : Minotaure amoureux d’une femme centaure (1933), Minotaure violant une femme (1933), ou bien Dora et le Minotaure (1936) et d’autres en mal d’amour : Minotaure caressant du mufle la main d’une dormeuse (1933) et Scène bacchique au Minotaure (1933).
A la fin de sa vie Picasso renoue avec la fougue voyeuriste et la verve exhibitionniste de sa jeunesse, en notant d’ailleurs que « c’est l’âge qui nous a forcé à arrêter, mais il reste l’envie de fumer. C’est la même chose que pour faire l’amour. On ne le fait plus mais on en a encore envie ». C’est par exemple la suite La Maison Tellier, dite Degas chez les filles (1970-1971), dont l’humour contraste avec les inquiétudes du peintre face à la vieillesse.
L’impression qui ressort de cette exposition est la tentative (estimable) d’avoir réuni des pièces jusqu’alors mises sous clef et de mettre en avant, à travers ses œuvres, la fascination que Picasso révélait pour le corps féminin. Est-ce que le terme « érotique » convient ? Oui, dans le sens étymologique du terme, « qui chante l’amour » (Eros), oui dans la mesure où aucune pièce réellement pornographique ou scatologique n’est présente. La collection rassemblée témoigne d’une grande pudeur ; la violence sexuelle est à peine perceptible, et si elle apparaît, la représentation n’est plus figurative et quitte toute sensualité en rejoignant une symbolique qui nous éloigne du corps proprement dit.
Pour les curieux et picaros, cette exposition se déclinera également au musée des Beaux-Arts de Montréal cet été, puis au Museu Picasso à Barcelone. Vous pouvez également alimenter votre regard en allant faire un tour à la galerie Patrice Trigano, où sont exposées des œuvres érotiques de Picasso plus secrètes, rassemblant dessins et gravures, œuvres qui composent la collection de Marina Picasso.