Bon, voilà le nouvel album de Daft Punk, attendu comme le messie de la société du spectacle. Le caractère messianique de Discovery tient vraisemblablement au besoin occidental de déculpabiliser le plaisir. S’accordant dans un timing parfait avec la « reprise de la croissance économique », la « baisse du chômage », la « remontée de la consommation », il s’inscrit dans le cycle économique, au sommet de la vague euphorique engendrée par les technologies de l’information et la nouvelle économie, juste avant le pressentiment du rouleau s’écrasant sur la grève. One more time. Il conjure le sort. Il nous enjoint à célébrer, (chanter, exalter, glorifier, louer, prôner, publier, vanter), à célébrer plus fort, plus vite, harder, better, faster, stronger. On ne sait pas à quels objets devra s’appliquer pareille célébration, mais peu importe, le propre des lyrics de la dance-music, c’est qu’ils n’ont pas d’objet, sinon le corps du danseur et ses millions d’affects (se sentir mieux, se sentir plus fort, se sentir plus vite, jusqu’au bout de la nuit). Et Discovery nous invite justement à la découverte de ce corps, à la découverte de sa mémoire, remontant jusqu’à la poussière d’étoile qui l’a constitué. Disque en vente libre cosmique, produit de consommation courante métaphysique, il porte ainsi le même nom que la station orbitale de 2001 l’Odyssée de l’espace, et recense toutes les vibrations qui peuvent agiter le corps humain au milieu de la ligne du temps, entre le passé et le futur, l’enfance et la post-humanité, toujours calibrées FM.
Le royaume des cieux est aux enfants, à ceux qui regardent Albator et Capitaine Flam, à ceux qui prennent le royaume des cieux au pied de la lettre, comme un au-delà les nuages auquel accéder avec une fusée NASA, aérodynamique. Aerodynamic (morceau n°2) parle de fuselage, de fluidité, de la perfection mathématique et métallique de la carlingue. Et du départ, que sonnent les cloches (le glas ?)… Derrière nous, Jean Sébastien Bach revisité au Moog par Walter Carlos revisité par les solos de guitare de Van Halen. Jump. Invitation à sauter. Devant nous, les étoiles… Digital love (n°3) : ici, l’amour est digital. Est-ce à dire qu’il est fait avec les doigts, comme on peux faire l’amour avec son clavier ? « Why don’t you play the game? » chante le vocoder. Laisse-toi aller, joue le jeu. Le jeu sous toutes ses formes : jouer à la dictée magique, jouer de la musique, quelle différence ? On reste des enfants qui demandent aux adultes de venir jouer avec nous. Après que les Chemical Brothers aient scandé Surrender (Rends-toi), on passe à une nouvelle forme de persuasion : viens jouer avec moi, joue le jeu, laisse-toi faire, laisse-toi porter, laisse-toi emporter. Par l’amour digital (Buggles, Phoenix, Supertramp)…
Partir, OK, mais comment faire ? Réponse : Harder, better, faster, stronger (n°4). Plus vite, plus fort. Les mouvements de danse sont décomposés par une voix vocodée sur un beat qui monte, progressive-dance, vers un slogan de plus en plus complexe. C’est comme ça que l’on part. Plus vite, plus fort. Accélération. Décollage… Yahouuuu ! On est arrivés ! Crescendolls (n°5) est un morceau house orgasmique, tout en climax, (à mixer avec Copa de Hell : enfer ou paradis ?). Des chœurs baléariques survoltés nous accueillent sur une plage de Mars pour une espèce de carnaval de Rio ou une soirée club Med’ déchaîné, le club Med’ de l’espace… Après la fête, la détente : Nightvision (n°6) regarde en buvant un cocktail martien la voie lactée et la planète Terre là-bas, tout en bas, dans l’Air… 1mn 41 d’effondrance. Mais il faut se ressaisir. Roulements de tambour en intro, pour un nouveau départ. Un retour vers la terre, mais sous de nouveaux atours, ceux des super-héros. Superheroes (n°7). Beat tek martial, on part en guerre : pistolets lasers, nappes de synthés, bataille galactique, c’est épique et numérique, c’est grandiose et cheap comme une descente d’Ovnis dans Galactika. La nappe finale recouvre la surface du globe. La victoire est complète.
Ensuite, High life (morceau n°8) importera sur Terre l’idéal de vie extra-terrestre, simple et funky. Réminiscent de Crescendolls, avec sa frénésie disco et ses choeurs féminins, Highlife présente le dancefloor comme le nouveau paradis, le paradis hédoniste qui remue ses fesses. Move your ass and your mind will follow. Voilà la belle vie, la haute vie pour tous, venue de là-haut. Voilà ce qui arrive. Dès lors, à chacun de voyager. Something about us (n°9). Basse Janick Top. Slow Korgis. Mais il s’agit ici de voyages intérieurs, souvenirs, introspection : « I may not be the right one « . « Je ne suis peut-être pas le messie », se disent les Daft dans un coin de leur studio parisien, un jour de pluie. Mélancolie. En résulte la nécessaire ouverture sur l’autre : « I need you more than anything in my life ». La post-humanité sera amoureuse.
Ensuite, on gère le quotidien : Voyager (n°10), house, avec de la nappe et de la harpe (celle de Jean Michel Jarre, en rayons laser), beau et triste comme l’ennui des jours de vacances. Veridis quo (n°11) n’est pas si « very disco » que ça, mais progressif comme une mauvaise descente. Moroderien, mais plus Midnight express que Munich machine. L’humanité va-t-elle s’en sortir ? On commence à en douter.
Un sursaut. Un break. Mais oui mais c’est bien sûr. Le salut passera par les machines. Short circuit (n°12). Il y un film qui s’appelle comme ça ; les machines y deviennent autonomes. Comme le Rockit de Herbie Hancock, Short circuit fait de la musique-machine pour des men-machine. Les robots dansent le smurf. Le final synthétique et dissonant rentre dans le cerveau, par un subtil jeu de passage des aigus vers les graves. Mettez-vous bien ça dans le crâne. Les machines au pouvoir.
Conclusion : Face to face (n°13). Il faut se rendre à l’évidence. Il faut faire face. Nous sommes des machines. Depuis le début. Ce n’est pas notre imagination. Mais c’est notre salut. Accepter la part de déterminismes et d’automatismes qui nous ont toujours conditionnés (à acheter les disques de Daft Punk par exemple). One more time, la boucle est bouclée, le reflet dans le miroir est réfléchi à l’infini, Face to face. Nous venons des étoiles, nous y retournons. La prise de conscience effectuée, n’attendons pas trop longtemps (Too long, n°14) pour accomplir notre tâche sur cette terre et dans l’univers. Le rythme nous y entraîne, nous y aide. Nous le sentons (« can you feel it ? »), nous allons donner le meilleur de nous même (« the best of me »). Nous allons donner le meilleur de nous-mêmes…