C’est vrai, cette exposition ressort encore des noms qui peuvent sembler trop connus : Picasso et Miró, on peut raisonnablement se dire qu’on commence à en avoir fait le tour. Et pourtant… Est-ce la magie de ce lieu animé par d’énergiques volontés qui ne trouvent rien de mieux que de nous surprendre à chaque accrochage ? Cette exposition sait générer des réflexions et des enthousiasmes qui la rendent indispensable à l’approche de l’œuvre de Miró et Picasso.
On y constate d’emblée combien l’exercice du dessin est primordial pour un artiste. A commencer par celui qui, le premier, a le plus joué avec le réel, l’a déconstruit, décomposé, afin de le reconstituer à sa vision. En une série de trente et une eaux-fortes, en effet, Picasso fait preuve de son évidente très grande maîtrise du trait. Ces œuvres montrent comment l’artiste s’est appliqué à reproduire méthodiquement tout un éventail d’animaux afin d’illustrer l’Histoire naturelle de Buffon, pour laquelle le marchand Ambroise Vollard désirait une nouvelle publication. Le travail apporté par Picasso est le résultat de véritables recherches sur l’anatomie animale et l’artiste ne s’est accordé que très peu de libertés.
Plus frappante encore est l’interprétation qu’il donne de Carmen. Par le choix qu’il opère -traiter cette nouvelle de Mérimée au burin-, Picasso lui ôte toute sensualité pourtant tellement rattachée au personnage titre. Le burin entaille la plaque de cuivre profondément et donne donc, au tirage, un trait précis et sec d’une couleur intense. Les visages que représente alors Picasso se trouvent empreints des contraintes et qualités de cette technique ; l’artiste-virtuose joue complètement du médium qu’il utilise afin d’offrir des personnages stylisés à l’extrême (en une seule ligne sont parfois dessinés les principaux traits du visage) et pourtant extrêmement bavards sur les caractères qu’ils représentent. C’est là une véritable leçon de technique du dessin et de la gravure. Une démonstration éblouissante d’un outil employé au mieux de ses possibilités pour un sujet qui, a priori, ne se prêtait pas à une telle rigueur.
Miró donne quant à lui de très belles plages d’aquatintes, aplats de couleur à l’aspect légèrement granuleux, dans des gravures illustrant Le Marteau sans maître de René Char. Les compositions abstraites qu’il propose jouent de rencontres des surfaces colorées et des lignes dans des constructions où l’émotion l’emporte sur la lecture. Qui se laisse guider par les titres risque de se heurter sur l’inutile besoin qu’a le cerveau de créer forcément du sens avec ce qu’il voit. Miró et Char utilisent finalement leurs outils (mots ou lignes) avec une même originalité. Cela demande une lecture tout aussi singulière.
Mais c’est avec les treize lithographies Ubu Roi que Miró nous entraîne dans un véritable bonheur de couleurs et de liberté. De drôles de personnages envahissent les pages. Se crée alors une incroyable loufoquerie de lignes souples et de couleurs formidablement vives. C’est toute la fantaisie de Jarry qui se lit dans ces jeux de lignes qui délimitent de façon apparemment tout à fait arbitraire les couleurs d’une grande pureté, comme capturées en plein éclat. Eclaboussant la dernière salle de l’exposition, ces lithographies s’emportent par l’esprit et sont déjà une invitation à revenir dans le musée de Lodève, logé aux pieds des Cévennes.