De nombreux amateurs d’art et professionnels espagnols s’étaient donné rendez-vous le 19 juin à la Galerie nationale du Jeu de Paume pour l’inauguration de la première rétrospective en France du sculpteur Eduardo Chillida. Il faut bien avouer qu’en dehors de ses contemporains Picasso et Miró, Chillida -né à Saint-Sébastien en 1924- demeure l’artiste espagnol le plus célèbre dans le monde ; et cette exposition est remarquable tant par la diversité des sculptures sur socle tantôt en bronze, en bois ou en albâtre que par celle de leur provenance. Citons notamment la Fondation Beyeler à Bâle, La Caixa de Barcelone, la Tate Gallery à Londres, le musée d’Art contemporain de Tamayo au Mexique ou encore le musée d’Art contemporain de Téhéran.
Formé par les voyages, Chillida entreprend entre 1943 et 1947 des études d’architecture à l’université de Madrid. Cet enseignement lui servira plus tard à mûrir son travail de sculpteur. La plupart des œuvres exposées font éloge de la lumière et des constructions qu’elle habite, comme la très symbolique et incontournable Porte de la Liberté, réalisée en acier en 1984. Le spectateur découvre avec étonnement la facilité avec laquelle l’artiste semble se jouer des formes ondulées, des vides et des volumes. Le regard encore neuf se porte tout d’abord sur ses œuvres les plus subtiles, sortes de météorites en voyage, faites de vides et de pleins, sans aucun socle pour les retenir. Dès les années 50, Chillida utilise l’espace qu’il aime confronter à des tiges métalliques pliées, ciselées, ondulées, sans limites. La finesse de ces œuvres surprend par la justesse de leurs proportions, l’agilité des lignes, la force qui sous-tend l’ensemble. L’objet s’impose et fait sens, à l’image de Deseoso (Désirant), petite sculpture de 1954 réalisée en fer forgé.
Mais ces stèles, ces bas-reliefs, ces odes à la nature sculptées dans l’albâtre, dévoilent aussi leur mystère au fur et à mesure que le cœur s’ouvre. Le poète mexicain Octavio Paz dit de lui dans le catalogue Entre le fer et la lumière paru chez Maeght : « Comme la musique silencieuse du mystique espagnol, les formes de Chillida disent -sans dire. Elles disent la réalité duelle de l’univers, les mutations et variations qu’engendre la bataille amoureuse indéfinie entre la forme et l’espace. » Les sphères et les volumes s’emboîtent naturellement, donnant à voir un paysage intemporel. Chillida, que l’on considère parfois trop simplement comme un sculpteur abstrait se redécouvre dans les détails, les écritures qu’il utilise, le lyrisme qui le personnalise. Les bas-reliefs faits de plomb ou d’albâtre présentent de drôles de sigles, comparables aux glyphes des sociétés précolombiennes. Ces sculptures qui pourraient se suffirent à elles seules s’inspirent ainsi d’une richesse culturelle, historique et artistique intense. Ses principaux hommages s’adressent au maître de l’abstraction, le peintre Kandinski, dans une étude en bois de 1965, à Salvador Allende, par une stèle en acier de 1974, ou encore à Pablo Neruda. Les années 80 sont marquées par des encres sur papier japon où là encore, la géométrie des formes, le contour d’une main -celle de l’artiste- évoquent la clé d’un langage Chillida, de toute une démarche.
Cette rétrospective offre à voir et à parcourir les dédales d’un univers finalement méconnu. La lecture des œuvres abstraites de Chillida exige du temps : celui de ressentir les choses afin d’en savourer toute la subtilité.