Il faut bien admettre que depuis quelques années et deux films (O’Brother et The Barber), on attend avec de moins en moins d’impatience les films des frères Coen. De là à dire que le meilleur est derrière eux (Miller’s crossing, Sang pour sang ou Barton Fink), il n’y a qu’un pas, que cet Intolérable cruauté (quel vilain titre !) invite à franchir allègrement. Ce dernier opus est sans doute le plus anecdotique dans le parcours de la fratrie Coen. Faut-il voir une explication dans le fait que le scénario lui est tombé dans les mains pratiquement tout cuit ? C’est la première fois que Joel et Ethan Coen ne sont pas à l’origine d’un film, et on pourrait déceler là un certain essoufflement. Toutefois, s’en tenir là signifierait renoncer au b.a. ba d’une politique des auteurs qui n’a pas dit son dernier mot. Intolérable cruauté est une commande et, jusqu’à preuve du contraire, c’est la marque des auteurs que d’être capables de s’emparer d’un scénario pour le transformer en oeuvre personnelle. De ce point de vue, on ne peut pas dire que le film est une grande réussite, tant l’absence du grand surmoi des Coen (le film noir) affadit leur signature. Il faut conclure : Intolérable cruauté est une comédie hollywoodienne presque comme une autre, avec une poignée de stars cabotines. Mais de bonne facture.
Il est quand même question de revisiter un genre, sans doute plus flou que le film noir, mais toujours en vogue : la comédie du remariage. George Clooney, lorgnant vers Clark Gable (interprète d’un joyau du genre, New York Miami), y fait merveille dans la peau d’un avocat richissime, glamour et légèrement pathétique spécialisé dans les divorces. Face à lui, Catherine Zeta-Jones, dépouilleuse de richards, avec lesquels elle se marie avant d’obtenir de mirifiques pensions alimentaires. Dans le clinquant kitsch de Los Angeles, ces deux-là s’affrontent à coups d’entourloupes parmi une galerie de millionnaires liposucées et de producteurs télé à queue de cheval. La comédie du remariage, c’est une manière de questionner le couple (hétérosexuel, riche et séduisant), sa sexualité, son vivre-ensemble, à travers une joute sentimentale. Une cruauté intolérable y est forcément factice, on joue à se faire peur (Cette sacrée vérité et Madame porte la culotte, les références par excellence). Ici, les frères Coen jouent ce jeu pour de bon, introduisant dans l’horizon du couple appelé à se former la possibilité d’un cynisme et d’une méchanceté sans retour : il n’est pas dit que Clooney et Zeta-Jones s’aimeront vraiment, tant la vénalité froide de l’une se cogne contre le désir ahuri de l’autre. Où l’on retrouve malgré tout la patte des cinéastes dans un film léger et souvent jouissif, percé ça et là de quelques morceaux de bravoure hilarants.