Je me souviens de ce blockbuster mineur mais attachant avec Sylvester Stallone, Demolition man, où l’acteur body-buildé joue un personnage venu du passé dans un futur radieusement orwellien où toute violence a été inhibée par le travail de la civilisation, où les gros mots sont punis d’amendes, où les forces de police sont inutiles et inefficaces, se contentant de patrouiller, sourire aux lèvres, en écoutant à la radio des jingles publicitaires, comme nous pouvons écouter aujourd’hui le dernier Madonna. Dans ce monde de bonne humeur et d’harmonie, les pubs Moulinex sont prises au pied de la lettre par les hommes du futur comme de véritables morceaux de musique, et la société de consommation semble avoir atteint son dernier degré d’intégration à la culture générale, en transformant ces jingles anodins en objets culturels à part entière.
Dans ce monde orwellien, il semble que nous entrons peu à peu, vu la fascination qu’exerce la publicité dans l’inconscient collectif contemporain (cf. à quel point la pub Budweiser de cette année « Waza » a contaminé le langage populaire). La compilation teutonne dont il est question ici enfonce le clou : me voilà chez moi en train de battre la mesure sur une publicité easy-listening pour la Ford Capri 70’s, en me demandant si c’est bien raisonnable. Incroyables archéologues, les concepteurs de cette compilation, Senor 45 et Sir d’œuvre, ont récupéré tous les disques flexis distribués dans les années 60-70 par les industriels aux radios pour assurer leur promotion. Pop shopping liste les plus célèbres « commercials » de ces années 60-70 hédonistes et consommatrices : Nescafé, Moulinex, BASF, Opel, Fa, etc., autant de « tubes » dans lesquels s’engageaient les consommateurs vers l’achat assuré, à force de matraquage radiophonique et télévisuel (ce qui est le propre d’un tube, d’être matraqué). A l’orée de la mondialisation, il est amusant de constater que certaines de ces publicités, ici en allemand, étaient strictement les mêmes en France et sans doute dans le reste du monde, simplement traduites dans le langage du pays. Dans la veine des compositeurs allemands de musique illustrative (Peter Thomas, Gert Wilden, Manfred Hubler & Siegfried Scwab), les titres présents sur cette compilation reprennent à des fins commerciales les gimmicks easy de l’époque : jerks électroniques, vibraphones et flûtes, cool-jazz et trompettes Tijuana, orgues Hammond et chœurs féminins, psychédélisme et funk consuméristes, pour une musique gaie et entraînante, celle qui vous entraîne, comme le joueur de flûte de Hamelin, vers le centre commercial le plus proche.
La mise en évidence de cette culture de l’anecdotique, mis à part son caractère démagogique (et il y a prescription aujourd’hui), révèle des compositions de qualité, des vignettes joyeuses et orchestrées harmonieusement, obéissant à la forme compacte et terriblement efficace du jingle, où rien n’est superflu, chaque note semblant nécessaire, dans une instantanéité jouissive et mélodieuse. Musique de l’agréable, douce aux oreilles, on oublie à l’écouter sa teneur manipulatrice et on la rangera sans remords dans la cédéthèque à côté des compilations Inflight ou Sound Gallery.