Le titre initial du nouveau « roman » de Guy Dupré était Lèvres, serez-vous jamais la chair de mon cœur ? Pour une raison non communiquée (éditoriale ?), la formule, baudelairienne en diable, se transforma en Comme un adieu dans une langue oubliée, signifiant au bout du compte la même chose, mais de façon moins romantique : faire perdurer une époque et un vocable révolus. Là réside le projet faussement rétrograde de Guy Dupré, déjà présent dans son premier récit, Les Fiancées sont froides, ses nombreuses préfaces (consacrées à Barbey d’Aurevilly, Barrès), jusqu’aux Manœuvres d’automne, livre pour lequel il obtient le (premier) prix Novembre -et qui fit écrire à Angelo Rinaldi : « nous refuserons avec fermeté de l’échanger contre quelques dizaines d’ouvrages publiés à l’intention des jurys. »
On pourrait le considérer, et à juste titre, comme résolument passéiste, lui qui ne fait qu’évoquer l’entre-deux-guerres, ses « juste-avant » et « juste-après », Cocteau, les deux Julien (Gracq et Green), Montherlant, Bernanos, Mauriac ou André Breton (« A vingt-cinq ans, hâve et maigre, déjà coiffé à la lionne, et plus souvent nourri chez la mère Coupe-Toujours (où un franc de galette coupait l’appétit de toute une journée) que dans un restaurant, sa ration de survie préférée était l’artichaut »). Il ne parle que de ça, Guy Dupré, transcrivant le chaos de sa mémoire. Un peu comme Jean Amadou et Brialy ironiseraient certains. Mais ce passéiste s’avère bien plus moderne qu’il n’en a l’air, car son alibi consiste à mixer toutes ses références littéraires, pour nous un peu désuètes, dans un éblouissant tourbillon d’écriture. Constatez : « Entre les treize ou quatorze cent mille Dupont-Durand qui avaient convolé, trois, quatre ou cinq ans durant avec la Veuve Poignet, et les milliers de Lévy-Aron revenus de l’enfer de Verdun pour finir, vingt-cinq ans plus tard, en escarbilles, nous semblait se tendre le cordon ombilical que l’on peut nommer lien causal, car il reliait la Troisième République au dieu des armées, dont Marianne a longtemps été la fille de joie. » Ainsi, on se perd souvent, mais avec plaisir, dans les méandres et avec les multiples protagonistes de Comme un adieu dans une langue oubliée. Et, in fine, l’auteur n’oublie pas de nous rappeler les horreurs d’Hiroshima (Guy Dupré est d’origine japonaise) : sans effet, il sait également trouver des mots bouleversants. Moins proche de François Nourrissier que de Jean-Jacques Schuhl, ce fou méconnu -et encore vivant- serait-il le grand nécrophile des lettres françaises ?