Iannis Xenakis est l’une des dernières stars de la musique contemporaine. Depuis 45 ans et la création légendaire de Metastasis (un monument du répertoire du xxe siècle), il n’a cessé d’étonner le monde musical, réinventant sans cesse les concepts de temps ou d’espace. On peut donc s’étonner qu’aucune multinationale n’édite actuellement ses œuvres. Ainsi faut-il rendre grâce au label indépendant Timpani, qui défend ce répertoire avec foi. Iannis Xenakis, 78 ans, écrit une musique moderne, toute neuve. Ce disque en est la démonstration.
Avec Aïs, pour baryton, percussion solo et orchestre, on est immédiatement frappé par l’atmosphère poétique, assez sereine. Ce climat rompt avec beaucoup des combats passés de Xenakis. Les vocalises quasi animalières du chanteur, les interventions en contrepoint des percussions sautent aux oreilles de tout auditeur. Le texte utilisé, des vers tirés de l’Odyssée et de Sappho, est comme éclaté dans les registres extrêmes de la voix. Les glissements, tremblements dans toutes les tessitures, sont rendus magistralement par le baryton Spyros Sakkas, compagnon de longue date de Xenakis. A propos d’Aïs, le musicologue Harry Halbreich parle de « joie rude et forte… d’énergie austère et terrifiante ». A quoi reconnaît-on un chef-d’œuvre ? Assurément à sa simplicité et à la familiarité que l’auditeur opère avec lui. C’est gagné.
L’orchestre du Luxembourg poursuit l’exploration du répertoire de Iannis Xenakis avec Tracées et Empreintes. Tracées, de 1987, est une de ses pages les plus courtes (6 minutes). L’effectif orchestral paraît bien pesant, presque compact (100 instrumentistes) et mériterait sans doute une audition en concert plutôt qu’au disque. Empreintes, sur une note répétée semble, elle, presque naïve. Xenakis fait preuve, ici, d’un réel classicisme.
On retrouve une signature plus marquée avec Noomena (1974) et Roaï (1991). Les techniques d’écriture, la fluidité du langage (des glissandos et trémolos) agacent ou émeuvent selon qu’on soit pour ou contre Xenakis. Mais comment, en 2001, être encore contre ?
S’il s’est fait beaucoup d’ennemis dans les années 50 en publiant La Crise de la musique sérielle, qui reprochait aux compositeurs d’avant-garde la pauvreté de leurs processus sonores, Xenakis doit pouvoir retrouver aujourd’hui toute la gloire que son talent considérable mérite. Son propos artistique, unification des arts graphiques, de l’architecture et de la musique, est maintenant largement exploité par la communauté musicale. En travaillant sur le contrôle statistique du hasard, sur les trames mathématiques, les arborescences, il a préfiguré la composition assistée par ordinateur. L’orchestre du Luxembourg et le très inspiré Arturo Tamayo, aujourd’hui, les compositeurs de musique électronique demain savent ou sauront sans doute lui en rendre hommage.
Œuvres pour orchestre : Aïs, Tracées, Empreintes, Noomena, Roaï. Orchestre philharmonique du Luxembourg. Arturo Tamayo (direction). Spyros Sakkas (baryton).